L’artiste plasticienne malienne, Mariam Ibrahim Maïga, se démarque aujourd’hui par sa liberté et de son audace à pousser les limites dans ses créations artistiques. Artiste engagée, elle brise les barrières et explore de nouveaux horizons comme les questions divines et les empreintes digitales. Les œuvres de Mariam dénoncent les maux de sa société gangrenée par des conflits ethniques et le terrorisme.
Les œuvres de Mariam Ibrahim Maïga sont à l’image de l’artiste dans lesquelles la liberté, l’audace et l’engagement sont les maitres mots. Cette originalité confère aujourd’hui à la plasticienne une notoriété qui franchit les frontières maliennes et africaines. Dans sa démarche artistique, la jeune artiste crée selon ses envies, ses émotions et dénonce les tares de sa société. La création artistique de Mariam n’a pas de limite, c’est pourquoi, elle va jusqu’à se questionner sur Dieu et les créatures divines. « Inaudible », sa dernière exposition à Bamako tenue le 14 mars dernier a saisi tous les regards du monde artistique malien. A travers cette exposition, l’artiste lance un cri de cœur par rapport aux souffrances subies par les hommes victimes de violences féminines, une réalité dont on parle peu dans notre société. « Les femmes ne sont pas les seules à souffrir. Il y a des hommes aussi qui souffrent même si on ne les entend pas se plaindre comme le font les femmes. Elles sont étonnées de voir qu’on les prend pour des victimes », nous confie-t-elle en parlant de son œuvre intitulée « Inaudible ».
Mariam est née et grandie à Gao au nord du Mali où elle effectue ses études primaires et secondaires avant de rejoindre le Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséke? Kouyaté de Bamako (Camm) qu’elle fréquente entre 2007 et 2012. Artiste plasticienne, vidéaste et photographe, Mariam travaille depuis 2015 à l’Institut malien de recherche action pour la paix (Imrap) en tant que chercheuse assistante audiovisuelle. Ce qui lui permet aujourd’hui d’être cette artiste « indépendante et libre ».
A ses dires, Mariam Ibrahim s’est aperçue très vite dans son jeune âge que c’est de l’art qu’elle voulait faire dans sa vie, sans pourtant savoir comment ça s’appelait. En effet, dès ses 8 ans, donc à l’école primaire, elle nourrit une certaine passion pour le dessin. Aujourd’hui, elle estime qu’elle n’a pas choisi l’art, c’est plutôt l’art qui l’a choisie. « Je n’ai aucune idée de comment je me suis retrouvée dans le monde des arts parce que tout mon jeune âge, je me suis rendu compte que je dessinais déjà en classe de première ou deuxième année. C’est bizarre, mais je savais depuis là ce que je voulais faire dans ma vie, c’est à dire devenir artiste », nous explique Mariam qui fera plus tard face à des propositions de sa mère qui la voit plutôt avocate. Alors qu’elle souhaitait s’inscrire à l’Institut national des arts (INA) après son Diplôme d’études fondamentale (DEF), sa mère lui propose d’attendre l’après baccalauréat avant de s’intéresser à l’art. « Elle a essayé de m’en dissuader en disant que pour être artiste, il faut être intelligent et faire de longues études. C’était sa manière de me décourager, mais j’avais déjà choisi cette voie », ajout-elle. Mais la mère ne comptait pas sur l’engagement de sa jeune fille à suivre son chemin artistique.
« La magie s’opère »
Après son baccalauréat en 2006 à Gao, elle arrive à Bamako pour les études supérieures. La capitale est l’endroit où elle peut enfin suivre sa voie. Néanmoins, avec la tête aux études en arts, elle s’inscrit contre sa volonté à la Faculté de Droit en attendant le concours du Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséké (Camm). Elle se demandait quand aura lieu le concours du Camm ? Comment avoir les informations ? Dans ses questionnements, elle se rappelle de Toussaint Dembélé, un artiste plasticien résidant à Bamako qu’elle avait eu la chance de rencontrer à Gao. « Un jour, en quittant la cour de la Faculté de Droit, je pensais à une connaissance, Toussaint, que j’ai connu à Gao et qui m’avait beaucoup parlé de ce domaine des arts. Il pourra m’aider à avoir les infos sur le Camm. Et comme un fait de Dieu, au moment où je pensais à lui en traversant le goudron, il a failli me renverser avec sa moto. Quand j’ai levé ma tête pour regarder la personne, je découvre comme par magie que c’était lui… C’était trop mystérieux », s’étonne Mariam qui s’est dit cet instant que son destin, justement, était ailleurs que dans cette faculté de Droit qu’elle fréquentait par complaisance pour faire plaisir à sa mère.
Toussaint l’aide à préparer et à passer le concours du Camm qui a lieu seulement deux semaines après leur mystérieuse rencontre. Après le concours, la jeune passionnée s’inscrit à la section Arts plastiques du Camm. « Mais j’étais dans toutes les classes. J’avais enfin retrouvé ma destinée dans la vie », nous glisse-t-elle.
En juin 2012, elle sort du Camm avec un Diplôme d’études supérieures spécialisées (Dess) en arts plastiques et commence sa carrière artistique. Une section qui fait d’elle une artiste pluridisciplinaire : artiste plasticienne, vidéaste, photographe. Cependant, confrontée à la dure réalité de notre pays, selon laquelle un artiste ne vit pas de son métier, Mariam est obligée de travailler avec plusieurs structures de communication et des arts visuels, notamment en matière de photos et de vidéos reportages. Elle crée en 2013 l’atelier Tim’Art qui se transforme plus tard en collectif d’artistes quand des amis artistes et camarades du Camm se sont joints à elle. En 2017, elle crée l’espace Siif’Arts considéré comme le « vestibule » de l’art où les artistes se rencontrent pour échanger autour des missions des artistes dans la société et définir les stratégies de sensibilisation, à travers leurs créations.
Toutefois, le parcours de l’artiste n’a pas été un long fleuve tranquille. Mais battante et passionnée de son métier, elle a su transformer de multiples difficultés en opportunités du moment où elle acquit l’adhésion et le soutien de sa mère et de sa famille. Elle a également été soutenue par des centres culturels An ko Arts, le Centre Soleil d’Afrique la Galerie Medina et l’Institut Koré où elle fait ses premières expositions. Toutefois, la jeune artiste n’échappe pas à la méconnaissance des arts au Mali. « Quand tu disais à quelqu’un que tu fais des arts plastiques à l’Université, on te considérait comme quelqu’un qui n’avait pas d’ambitions car, selon eux, ce genre d’études n’est pas important dans la vie », regrette la jeune dame, mère d’un petit garçon. Mais cela ne l’empêche pas de faire ses preuves afin d’être là où elle se trouve aujourd’hui.
« Artiste, j’aime bien ses prises de risques. Je pense que c’est l’une des artistes qui priorise l’art comme nourriture spirituelle. Vendre c’est vrai, mais elle sensibilise dans ses créations. De par sa démarche, elle est comme une rappeuse qui crie tout haut, tout ce qui se dit tout bas dans son quotidien. Mariam est un exemple aujourd’hui, de ma part, une fierté car elle est arrivée toujours à rester égale à elle-même » témoigne Toussaint Dembélé.
« L’artiste est à l’image de Dieu »
Incapable de suivre les règles des arts ou encore les conseils des personnes expérimentées ans le domaine, elle préfère tomber et se relever en apprenant de ses erreurs. « Je ne veux pas suivre une ligne directe pour que mon tableau soit bien fait. Je suis une femme libre et j’aime voir cette liberté dans mes créations ». Ainsi, la sincérité est ce qui caractérise les œuvres de l’artiste qui exprime sur ses toiles tout ce qu’elle ressent au fond d’elle. Depuis maintenant deux ans, la jeune plasticienne travaille sur les empreintes digitales. De la peinture, des bois, du papier, du tissu et parfois des douilles sont les matériaux qu’elle utilise pour ses créations. « Quand je commençais avec les empreintes, la première question que je me suis posée, c’était de me demander si Dieu est habillé ? Je me dis que la pureté ne vient pas de l’habillement. Je me questionne sur la création devine. Dans mes œuvres, je mets un lien entre la création artistique et la création divine. Je compare en quelque sorte l’artiste à Dieu car je trouve que l’artiste est fait à l’image de Dieu », s’interroge-t-elle.
Selon la jeune dame, les créations artistiques représentent l’unicité comme chaque création divine. Chaque œuvre de l’artiste est un être à part. « Dieu nous a donné ce pouvoir de faire à peu près comme lui. L’empreinte c’est l’unicité car chaque être humain à une empreinte différente et unique », argumente-elle. C’est pourquoi elle réalise des tableaux qu’elle accroche ensemble, côte à côte, pour dire que malgré les différences de race et d’ethnie, il y a de l’harmonie entre les Hommes. Elle expose d’ailleurs dans ce sens au Burkina Faso en 2012, sous le thème : « Sous le manteau islamique » où elle dénonce les exactions commises par les mouvements dits « djihadistes » qui ont longtemps sévi dans le nord du Mali.
Aujourd’hui, on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que Mariam est l’une des artistes plasticiennes maliennes les plus en vue au Mali. Elle compte une dizaine d’expositions à son actif sur le plan national et international. Sa première exposition individuelle intitulée « One Love », en 2014, dédiée en la mémoire de Robert Nesta Marley (Bob Marley) l’a révélée davantage au monde artistique malien. Dans cette exposition, la jeune artiste évoque les prophéties de Bob Marley qui se réalisent dans nos sociétés actuelles. Ensuite suivra « Indépendance, je me libère et j’évolue », une exposition collective à Tim’Arts qui invite à évoluer constamment pour atteindre une paix durable.
Elle expose ensuite à l’« Âme de Mérite », une exposition collective pour rendre hommage aux hommes qui se sont battus pour une appropriation de la liberté et de l’égalité par les Maliens. Elle a pris part à de grands rendez-vous artistiques comme le Festival sur le Niger dans le groupe Kore qualité 1, Ségou’Art. Sur le plan international, en 2012 Mariam Maiga participe à une résidence d’artistes au Burkina Faso, organisée par l’Association des femmes plasticiennes de l’Afrique Subsaharienne, aux Jeux de la Francophonie en 2016 en Côte d’Ivoire où elle représente le Mali en peinture. Elle participe à la Journée internationale de la femme organisée par la galerie le Coin de l’art, à Rabat au Maroc où elle a exposé deux œuvres (Baba Dicko et la Faille). Elle a également exposé en Belgique. En 2016, l’artiste a été décorée « Femme exceptionnelle » de la culture malienne (Sadio de la culture) par Osmose Events.
L’objectif que la jeune artiste se fixe aujourd’hui est de pouvoir vivre de son art. Selon elle, il y a beaucoup d’artistes comme elle au Mali qui travaillent pour faire vivre leur art, c’est-à-dire qu’ils sont obligés d’acheter tout ce qu’il faut pour leur création, même ils n’arrivent à gagner suffisamment de cet art qu’elle fait par passion. « Le jour où j’arriverai à vivre de mon art, c’est ce jour que je deviendrai une artiste confirmée car je pourrai m’y consacrer », avise-t-elle.
Youssouf KONE