ENTRETIEN AVEC SIBIRINAN ZANA COULIBALY, AUTEUR DU LIVRE « SALI » : « La justice dans les mains d’une personne qui ne s’y connait point devient de l’injustice »
Natif de Korokoundougou dans le cercle de Kadiolo, Sibirinan Zana Coulibaly est détenteur d’une maitrise en Anglais-Unilingue à l’Université de Bamako et d’un diplôme en Langues, Dessin et Musique (LDM) à l’Institut de formation des maîtres de Bougouni. Il est actuellement conseiller pédagogique Anglais chargé des bibliothèques et des manuels scolaires au Centre d’animation Pédagogique de Yangasso, Académie d’enseignement de San. Il s’invite désormais dans le cercle des écrivains maliens avec la publication en 2019 de son tout premier ouvrage intitulé » Sali « . Un roman qui questionne les pratiques anciennes dans une société malienne plongée dans le modernisme. L’auteur a bien voulu répondre à nos questions sur son ouvrage et ses projets d’écriture.
Aujourd’hui-Mali : Bonjour, pouvez-vous nous présenter votre ouvrage « Sali »?
Sibirinan Zana Coulibaly : Sali est mon tout premier roman paru aux éditions La Sahélienne en septembre 2019 dans la collection 50 voix. C’est un livre de 100 pages réparti en 18 chapitres. Comme synopsis du roman Sali, toute l’histoire tourne autour de Sali (héroïne éponyme) la coépouse de Mariam. La petite Fêêrê qui n’est autre que la fillette de Mariam disparait un jour pendant que tout le monde est au champ.
Nonobstant la menace des fétiches, les recherches effectuées par les donsos (milice des chasseurs traditionnels), l’intervention du Kômô tigui (maître de la société sécrète du Kômô) et l’effort de tous les hommes du village, la fillette reste introuvable.
Sur ces entrefaites, des propos tenus par Sali lors d’une fâcherie antérieure, les révélations faites par Sandotcha, sa position en tant que coépouse de Mariam, la mère de la portée disparue et d’autres circonstances très compromettantes se ligueront pour la placer en position de suspecte no 1. Puisqu’elle refuse de reconnaître ce crime qu’on lui impute, dans le but de la contraindre à passer aux aveux, avec l’accord du chef de village et les autres notables, la pauvre Sali est livrée aux donsos qui, dotés d’une cruauté païenne, lui font subir un supplice des plus terribles. Torturée, humiliée, avilie, Sali n’avoue rien cependant. Pourtant la fillette portée disparue demeure introuvable. Que faut-il faire ?
L’héroïne du roman est accusée peut-être à tort suite à la disparition d’une enfant et sera torturée selon les règles de la justice traditionnelle. Alors comment jugez-vous cette justice ancrée dans les pratiques séculaires ?
Aucune justice humaine ne peut se targuer d’être irréprochable, en l’occurrence celle dont il est question dans le roman Sali. Une justice essentiellement basée sur les révélations faites par les devins, les charlatans, les fétiches et d’autres pratiques séculaires irrationnelles, selon les milieux. Des révélations qui portent très généralement à confusion. Cette justice, même si elle demeure d’actualité dans bon nombre de milieux ruraux, pour la plupart présente de grandes faiblesses et n’a cure des droits de l’homme. Entre nous, comment une personne déjà morte peut-elle dévoiler l’identité de celui ou celle qui est responsable de son trépas ? Comment peut-on chercher dans tout un village le coupable d’un vol ou autres délits à l’aide d’un pilon ?…
Le recours intentionnel à la torture pour contraindre un accusé (très souvent innocent) à admettre un crime ne peut être qu’une pauvreté de tout système judiciaire qui la pratique. Malheureusement, ces méthodes caduques restent toujours de mise même dans les systèmes les plus avancés.
Que pensez-vous du sort subi par Sali ?
Le sort subi par Sali n’est que la conséquence logique de la polygamie. Sous ce régime, existent très généralement une volonté manifeste de nuisance et une méfiance inouïe entre les coépouses. Tout porte à croire que des femmes partageant le même homme ne peuvent que se souhaiter l’enfer. Quand Sandotcha la première devineresse consultée dans cette histoire a dit : « Allez chercher dans votre famille. Une femme très proche de votre famille est venue prendre la fillette chez vous en votre absence et l’a emmenée, elle lui en voulait énormément… ». De qui d’autre pouvait-il s’agir ? Sali la rivale de la mère de la portée disparue bien évidemment. C’était sans équivoque. Elle était le parfait bouc émissaire et c’était bien ainsi. Sa position de coépouse justifiait d’emblée sa culpabilité.
Votre ouvrage met le lecteur sur le pont entre tradition et modernité. Et vous, quelle est votre position ?
J’ai toujours clamé haut et fort que je suis pour le métissage. Il nous est très difficile, de nos jours, de faire machine arrière. Donc le mieux serait de faire un tri. Ne pas tout rejeter et ne pas tout prendre. Seul le brassage pourra sauver nos traditions puisque la jeune génération semble encline à aller vers le modernisme, d’elle-même.
Que pensez-vous du rôle des Donsos aujourd’hui en termes de justice dans cette société moderne ?
Dans notre société moderne, les Donsos ne devraient pas avoir à s’occuper de la justice. Il n’est plus de leur ressort puisque l’Etat forme déjà des citoyens pour remplir cette noble fonction qui requiert de nombreuses compétences. Mais hélas, quand l’Etat n’est plus, l’on ne peut que leur faire recours pour rendre cette justice sans laquelle tout deviendrait anarchie. Et très vite, l’on assiste à des abus de tout genre. La justice dans les mains d’une personne qui ne s’y connait point devient de l’injustice.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Bien sûr ! J’ai de nombreux projets d’écriture en cours. Depuis la parution de Sali je n’ai plus déposé la plume. Un second ouvrage est aux Editions et je travaille sur un autre. S’il plaît à Dieu, elle ne dormira pas de sitôt. Ce ne sont pas les histoires à raconter qui manquent.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans la publication de votre premier ouvrage ?
Les difficultés étaient surtout d’ordre financier. Voyez-vous, écrire un livre demande, non seulement des efforts considérables, mais aussi beaucoup d’argent. En plus, loin de la capitale, le problème d’éditeur a failli me décourager. J’ai su, cependant, surmonter ces quelques difficultés non sans peine. C’est un rêve que je me devais de réaliser.
Quel sera votre mot de la fin ?
Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir offert l’occasion de m’exprimer autour de mon œuvre, sans oublier tous ceux et celles qui m’ont soutenu. J’invite ensuite tous les Maliens, surtout les apprenants, à lire. La lecture fait défaut de nos jours et ça se voit chaque jour sur le niveau de nos enfants. En qualité d’encadreur des enfants de l’école fondamentale, je sais de quoi je parle. Le constat est très effrayant. Cessons de nous accuser mutuellement et revenons vers la lecture. Elle recèle d’innombrables avantages qui ne sont plus à louer.
Réalisée par Youssouf KONE