SCANDALES DE L’AVION PRESIDENTIEL ET DU MATERIEL MILITAIRE : Six griefs qui résument à peine la gravité des faits

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Après une vérification de conformité et de performance – termes très polis pour désigner un audit – du marché relatif à l’achat de l’avion de commandement du Président IBK déclaré acquis à près de 19 milliards de Fcfa et ensuite le marché des équipements militaires de près de 70 milliards Fcfa attribué par entente directe à Sidi Kagnassy, le Bureau du Vérificateur général, dans son rapport rendu public en 2014, signalait avoir fait des dénonciations relativement à six faits répréhensibles. Naturellement, une suite était attendue en justice, même si elle arrive un peu sur le tard.

Dans ses conclusions, le Bureau du Vérificateur général fait remarquer que la situation sécuritaire du Mali doit être indéniablement une préoccupation majeure des autorités administratives en charge du secteur, en raison des difficultés internes, mais aussi externes qui induisent une stratégie d’ensemble pour tout état moderne soucieuse de son devenir et des enjeux internationaux actuels. Mais tenait-il à préciser : « A cet effet, que les autorités maliennes imaginent des solutions appropriées en se fondant sur le dispositif juridique qui doit guider leurs actions ne serait que bénéfique et légitime pour le pays. Ainsi, dans une telle situation de refondation qui tire ses moyens de la richesse nationale, il est incontestable que pour améliorer le rapport coût-efficacité des acquisitions des armées, il faut rechercher les solutions du côté des conditions de passation, d’exécution des marchés d’équipement toute nature confondue. »

Après avoir signalé que la gouvernance et la gestion des finances publiques constituent un enjeu démocratique important, tant leur importance et leur rôle dans le développement économique et social d’un pays, le Bureau du Vérificateur général de rappeler que « par la masse de ses commandes au travers de procédures qui assurent la concurrence – qui est possible sans publicité – et la transparence, l’armée malienne peut contribuer à la relance de l’économie, à l’essor du secteur privé et à la création d’emploi. » Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, les Etats quels que soient leur taille économique et leur poids politique au sein de la communauté internationale, ne peuvent plus, au nom de la souveraineté nationale – quoique légitime – effectuer des dépenses publiques au mépris de certains principes et règles budgétaires et comptables de base. »

Dans cette foulée, le Bureau du Vérificateur général (Végal) de préciser que la vérification de l’acquisition d’un aéronef et la fourniture de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campement et d’Alimentation (Hcca) ainsi que de véhicules et de pièces de rechange, n’exclut pas un tel défi. En effet, dit-il, « le contrat de fournitures de matériels et autres équipements aux Forces Armées Maliennes est la parfaite illustration d’une mauvaise gouvernance financière et d’une gestion désastreuse des deniers publics. »

Nous épargnons à nos lecteurs, le long débat autour du principe de secret-défense, qui s’était instauré à l’époque entre le Végal et les ministres concernés par ces deux affaires, notamment Soumeylou Boubèye Maïga en tant que ministre de la Défense et des anciens combattants et Mme Boiré Fily Sissoko en ce temps-là ministre de l’Economie et des finances. Les deux membres du Gouvernement ont cherché en vain à se cacher derrière le secret défense pour soustraire du champ d’application du Code des marchés publics l’achat de l’aéronef du président de la République et le marché d’acquisition d’équipements militaires. Peine perdue puisque le Végal est resté droit dans ses bottes, après avoir rappelé que le secret-défense ne s’appliquait pas dans ce cas de figure, relevant plutôt du Code des marchés publics.

C’est en toute logique donc que le Bureau du Végal avait saisi le Parquet pour dénoncer six faits graves, relavant tous de violations de la loi et nécessitaient donc, en tant que tels, des poursuites judiciaires. Ce qui était d’ailleurs demandé avec insistance par les institutions de Bretton Wood et les Partenaires techniques et financiers (Ptf). Depuis lors, la population, qui avait applaudi à tout rompre le président de la République, lorsqu’il déclarait cette année 2014 celle de la lutte contre la corruption, attendait la suite judiciaire réservée à ces deux gros scandales qui ne ressemblent à rien de plus qu’un pillage systématique des maigres ressources financières du Mali.

Les dénonciations faites par le Bureau du Végal sont : détournement et complicité de détournement de fonds publics par l’engagement irrégulier des finances publiques ; utilisation frauduleuse et détournement de deniers publics d’un montant de 9 350 120 750 Fcfa ; délit de favoritisme ; faux et usage de faux ; trafic d’influence ; fraudes fiscales portant sur le non-paiement des droits d’enregistrement et des redevances de régulation, en l’absence de toute autorisation légale d’exemption.

Le Bureau du Végal, pouvait-il faire autrement au vu de l’extrême gravité des faits par lui constatés ? Il le dit lui-même dans son rapport : « Les situations auditées sont édifiantes comme le cas d’une société privée, une Sarl au capital de 3 millions Fcfa, qui se voit attribuée, sans avoir même demandé, un contrat de 69 milliards Fcfa, exonéré de tous droits d’enregistrement et à la clé une garantie de l’acheteur – état – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. Peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier in fine d’une marge bénéficiaire de plus de 25 milliards Fcfa ? Faut-il rappeler que dans le cadre de la Loi de Finances 2014, les budgets du Ministère de la Justice (8,4 milliards Fcfa), du Ministère de la Culture (3,1 milliards Fcfa), du Ministère de la Fonction Publique (1,8 milliard Fcfa), du Ministère de la Réconciliation Nationale, Développement des Régions Nord (2 milliards Fcfa) et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (10 milliards Fcfa), réunis, font 25,3 milliards Fcfa. »

Pour enfoncer le clou, le Bureau du Végal met le doigt sur une des plus grosses incongruités relevées dans le montage grotesque de ces deux dossiers : « Que dire de la conduite des autorités administratives qui ont signé deux contrats portant sur le même objet et au sujet desquels le signataire d’un des contrats n’a aucun lien juridique avec la société titulaire dudit contrat ? ».

En tout état de cause, comme l’écrit le Bureau du Végal, l’acquisition de l’aéronef à 18 915 933 276 Fcfa, montant reconstitué par l’équipe de vérification sur la base des

supports de paiement fournis par le Trésor Public relatifs au Contrat de « Cession-Acquisition d’aéronef » et la fourniture aux Forces armées maliennes de matériels Hcca, de véhicules et de pièces de rechange à 69 183 396 494 Fcfa sous l’empire de l’article 8 du Code des marchés publics (Cmp) sans aucune référence légale et dans des conditions qui ne garantissent pas la transparence dans les procédures et qui ne donnent aucune assurance quant à la fiabilité et la sincérité des informations et des transactions, constituent un risque hautement élevé de fraude.

Il est important de relever qu’en plus des acquisitions prévues par le protocole d’accord, pour les mêmes objets, les engagements contractuels du 1er semestre 2014 du Ministère de la Défense et des Anciens combattants (Mdac) se chiffrent à 23,76 milliards de Fcfa d’achat de matériels de transport et de pièces de rechange et 11,85 milliards de Fcfa de matériel Hcca, soit un total de 35,62 milliards de Fcfa.

Relevons au passage que le même Mdac a signé des contrats d’acquisition et de fourniture dépassant sa compétence en matière d’approbation. Il a aussi signé un protocole d’accord renfermant des clauses contraires aux dispositions relatives aux Lois de Finances et à la comptabilité publique. Sans oublier que le Mdac a immatriculé l’aéronef comme propriété de « Mali BBJ Ltd ».

« Le paiement du montant des deux acquisitions en l’absence de crédits disponibles est une violation de la Loi de Finances qui peut entrainer la détérioration du cadre budgétaire et occasionner la prise en charge de dépenses non prévues par le budget d’état. » En plus, l’implication d’intermédiaires dans les deux acquisitions a grevé les coûts, constate le Bureau du Vérificateur général.

Les faits graves constatés n’ont pas suffi pour constituer un dossier accablant en mesure de soutenir les dénonciations. Il y a eu aussi, dans le cadre de la procédure d’audit menée par le Bureau du Végal, des aveux qui ont été faits et se trouvent consignés dans le rapport du Bureau du Végal.

En effet, l’approche méthodologique retenue pour la vérification a porté sur : la collecte des informations et documents à l’intérieur et à l’extérieur du pays ; l’analyse des textes législatifs et règlementaires ; la revue documentaire ; les entrevues avec les personnes concernées ; le recoupement des informations ; l’examen des dossiers.

C’est ainsi que les entrevues et le recoupement des informations ont permis de clarifier certaines situations par des aveux recueillis auprès des personnes concernées. Notamment que les attestations de conformité produites par le ministre de la Défense sont fausses parce que ses directeurs centraux ont reconnu que « les attestations de conformité ne sont pas établis suite à un rapport des services techniques ». Contrairement à ce qui est écrit sur lesdites attestations pour couvrir les dépenses liées à l’exécution des différents marchés.

En d’autres termes, sur la base de faux et usage de faux, il a engagé ses services techniques comme ayant attesté la conformité des livraisons de matériels avec les commandes après inspection des matériels.

            La Rédaction

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