Que sont ils devenus ? Aly Badara Kéïta : Le journaliste sportif émérite et l’écrivain

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En empruntant un transport en commun pour rallier la Commune de Baguinéda, nous devions gérer l’embouteillage sur le tronçon, l’insouciance du chauffeur pour notre heure de rendez-vous, les agissements de l’apprenti et l’indulgence de certains passagers chaque fois que l’embarquement d’un nouveau client nécessitait un mouvement collectif. Notre présence en ces lieux ce mardi 11 novembre 2020, s’explique par l’interview que le doyen Aly Badara Kéita (ABK) a bien voulu nous accorder dans le cadre de « Que sont-ils devenus ? » C’est un journaliste sportif qui a à son actif trois livres : « Les 50 ans du football malien », « Légendes et vérités du football malien », « Le jour où j’ai failli mourir ». Son statut d’écrivain s’explique par son parcours en tant qu’ancien footballeur et dirigeant sportif. Cela lui a servi d’inspiration et avait pour but de laisser un souvenir entre les mains de la nouvelle génération afin qu’elle sache ce qui s’est passé.  En 1999, il est tiré de sa retraite par le président du Cocan Sory Ibrahim Makanguilé, et le président de la commission média, Daouda Ndiaye, pour magnifier l’image d’un comité d’organisation qui peinait à rassurer l’opinion face au grand défi. C’est à cette date que nous l’avons connu comme l’une des  bibliothèques de la presse malienne. Notre directeur de publication, Ibrahim Traoré dit Francky, profita de sa visite de courtoisie à notre rédaction, pour m’inviter à lui poser des questions sur l’état d’évolution de la préparation et sur la gestion des accréditations de la presse malienne durant la Can-2002. Il s’est montré disponible et nous a prodigués moult conseils pour notre avenir. Quand nous lui avons rafraîchi la mémoire sur cette entrevue, il s’est immédiatement rappelé. Aujourd’hui, la vieillesse l’a éloigné des stades, mais il se rappelle de tout. La preuve…

Quel était l’objectif principal du Cocan ? Le doyen répond que certes la Can-2002 était une première expérience pour notre pays, avec des obstacles à tous les niveaux, mais l’engagement pris par le président Alpha Oumar Konaré vis-à-vis de la Confédération africaine de football, cumulé à la volonté de Makanguilé d’honorer la confiance placée en lui par le chef de l’Etat, ne pouvaient que produire le miracle, une fête mémorable, appréciée par le monde entier. Sa surprise fut la défaite des Aigles, pas le succès de la Can-2002. Il a ses raisons.

Aly Badara Kéita est un journaliste par passion. En son temps, il n’hésitait pas à  classer parmi ses ennemis, quiconque lui disait d’entreprendre autre chose que la presse.

Des trois livres du doyen Aly Badara Kéita, le titre du troisième est celui qui a suscité notre curiosité. Quel était donc ce jour ? Au lieu de nous le dire, l’auteur nous a invités à lire le livre dans lequel tout est détaillé. Au cours de l’entretien, en évoquant ses mauvais  souvenirs, il crachera finalement le morceau. Selon notre héros du jour, tout le monde savait que Tiécoro Bagayoko, ancien directeur des services de sécurité, n’aimait pas ses écrits sur le sport parce qu’il ne jurait que de Djoliba AC.

« Diango » désapprouvait les articles d’Aly Badara Kéita. Il en concluait qu’ils étaient invariablement contre son club de cœur. C’est ainsi que Tiécoro a envoyé des policiers l’enlever dans les tribunes le 11 mai 1975, pour une bastonnade dans les vestiaires. Evanoui et laissé pour compte, ABK s’est réveillé avant la fin du match. Il soutient avoir marché sur ses genoux du stade Omnisports à son domicile, en face de l’Ecica. Il est resté dans un état critique pendant trois jours.

Après les premiers soins à Bamako, il fut évacué à Dakar. A l’hôpital le professeur chargé de son diagnostic a diagnostiqué un accident de travail. Au lieu de trente-sept mille, il lui demandera seulement cinq mille comme frais. L’année suivante quand ABK devait s’y rendre, il a demandé un appui au ministre Amadou Baba Diarra, alors n°2 du CMLN au pouvoir.

Comme il a opté pour la plume, dans son cœur rien ne pouvait l’arrêter ou l’intimider dans l’exercice de ses fonctions. A sa reprise du travail, Tiécoro convoquera une réunion en présence des deux ministres des Sports et de l’Information. C’était pour faire comprendre que son agression sera sans suite. Autrement dit, qu’il n’y aura rien. Cette menace a-t-elle assoupli sa plume ?

Le cœur sur la main

Pour Aly Badara le journaliste n’est contre personne, il fait son travail. En accordant de l’importance aux opinions ou à la pression de l’environnement, celui-ci risque de s’égarer. Il a donc continué à  faire ses écrits selon sa conviction. Entre-temps les événements du 28 février 1978 ont éclaté.

En bon journaliste, il a compris qu’une question nous brûlait les lèvres. « Quand l’effort est trop grand pour pardonner la faute qui vient d’autrui, laisse venir le pardon, tout en évitant du penchant de la haine. A défaut du pardon, laisse venir l’oubli », a-t-il lancé. Pour bien nous interpréter cette citation de son professeur de philosophie, ABK a avoué avoir pardonné et sans rancune Tiécoro Bagayoko.

Autre mauvais souvenir, le refus des nouvelles autorités d’homologuer son diplôme de journaliste après des études en ex-URSS. ABK et ses compagnons ont bénéficié d’une bourse du régime socialiste Modibo Kéita. Ils avaient été envoyés en Russie pour être formés en montage, diffusion télé, radio. Hélas ! C’est seulement en 2000 qu’il est parvenu à rentrer dans ses droits, neuf ans après sa retraite et au bout d’un procès qui a débuté quand il était déjà membre de la commission média du Cocan, et après avoir travaillé au journal « Le Républicain », dirigé à sa création par un certain Tiébilé Dramé.

Au moment de quitter le doyen, tout en lui souhaitant longue vie, nous nous rappelions une anecdote de l’ancienne internationale du COB dite Waraba 10. Une héroïne de cette rubrique, qui nous a dit à l’époque qu’elle était choyée par Aly Badara et qui lui conseillait à chaque match une sourate avant de monter sur le tartan. Mais ce jour lors de notre passage dans sa famille, l’ancienne joueuse de basket-ball du COB n’a pas voulu nous dire ce secret du doyen. Celui-ci aussi nous a laissé sur notre faim.

Avec l’âge il ne se rappelle pas. Dommage ! Fils de paysan Aly Badara Kéita est né en N’Kourala vers 1936. Il rentre au lycée Marius Moutet (actuel lycée Technique) en 1950 à son admission au CEP. Trois ans plus tard, il est exclu pour  résultats insuffisants. C’est plutôt des problèmes de vision qui ont entravé ses études.

Comment un jeunot venu de la brousse peut-il demander des verres correcteurs à son père, qui ne vivait que d’agriculture ?, s’interroge-t-il? Il retourne au village, pour ensuite faire un saut à Bobo-Dioulasso en Haute Volta. Son ambition de faire carrière dans la presse lui tenait toujours à cœur.

C’est pourquoi, il quitta la Compagnie française de développement du textile trois mois seulement après son recrutement, pour la Poste. Par personnes interposées, il se créera l’opportunité d’écrire dans deux journaux : « Afrique Nouvelle », un journal sénégalais, et « Omnisports d’Abidjan ». A l’éclatement de la Fédération du Mali avec le Sénégal, il a demandé une mise à disposition de son pays. C’est ainsi qu’Aly Badara Kéita est affecté à la Grande poste de Bamako le 3 novembre 1960.

Une référence

Il n’a pas fini d’analyser tous ces paramètres qui pourront lui permettre de reprendre la plume, qu’un communiqué du gouvernement tomba. Le pouvoir envisageait de recruter des journalistes. ABK sautera sur l’occasion et il est classé troisième sur neuf pour la première phase. L’Institut français de presse au terme de trois mois de formation retient trois stagiaires, parmi lesquels Aly Badara Kéita. Il fallait une autre procédure administrative pour qu’il soit transféré au ministère de l’Information, dirigé par Dr. Mamadou Gologo.

Celui-ci approché par l’attaché de presse du président Modibo Kéita, Mamadou Talla, donna son accord de principe. ABK est affecté à l’Agence nationale d’informations du Mali (Anim), l’actuelle  Amap. Déjà bien formé dans la rédaction des textes, il s’imposa facilement dès ses premiers mois dans l’organe de presse du pays, surtout dans l’animation des rubriques sportives, internationales, et les faits divers. Devenu reporter, chroniqueur au quotidien national, L’Essor, Aly Badara Kéita a couvert de grands événements sportifs et participé à plusieurs stages de perfectionnement, notamment au Sénégal.

Pour la circonstance une relation sensationnelle s’est nouée entre ABK et un Zaïrois. Lequel a reconnu sa valeur intellectuelle et sa connaissance des lois du jeu, à la suite d’une chaude discussion entre journalistes lors d’un séminaire international. Après ledit stage, il envoya un billet à Aly Badara pour lui rendre hommage, et en profiter pour le présenter aux journalistes de son pays, comme une référence.

C’est grâce à son soutien qu’ABK décrocha le prix du meilleur sportif africain. C’est en 1991 qu’il prit sa retraite. Cela coïncida avec la création des journaux privés comme « Les Echos », « L’Aurore »« Le Républicain » au sein duquel il travailla jusqu’à sa nomination à la Commission média du Cocan.

Au lendemain de la Can-2002, il fallait un temps pour sa famille, ses petits-enfants. Agé de 84 ans, Aly Badara Kéita vit actuellement à Baguinéda et consacre son temps à la lecture, aux informations de la radio et à ses petits enfants qui ne le quittent point.

Pour évoquer ses bons souvenirs, il se rappelle de la bonne volonté d’un Sénégalais qui a eu l’amabilité de l’enlever de l’hôtel pour qu’il suive son traitement à son domicile. Parce que, dit-il, un malade se soigne à l’hôpital, ou  à la maison, pas dans un centre hôtelier. Dans la vie ABK aime le sport, rien que le sport. Il déteste la veillée des enfants dans la rue.

O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23

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