LE PRESIDENT DU MPR, CHOGUEL KOKALA MAÏGA : « Avant la fin du mandat de IBK ou juste après lui, ils provoqueront la énième rébellion pour parachever le processus de partition du Mali »
Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président du Mouvement patriotique pour le renouveau (Mpr), Choguel Kokala Maïga, pose un diagnostic sans complaisance de la situation sécuritaire, politique et sociale du Mali, notamment la tenue des élections législatives, l’enlèvement du chef de file de l’opposition, les mesures annoncées par le président IBK dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus, le projet du gouvernement d’organiser les législatives spéciales pour les régions de « l’Azawad »…
Aujourd’hui-Mali : Après la tenue du second tour des législatives, quelle lecture faites-vous des premières tendances ?
Choguel Kokala Maïga : Ma position a déjà été annoncée le 9 avril 2020 à la proclamation des résultats du 1er tour par la Cour Constitutionnelle. A part quelques rares députés qui représentent réellement l’expression de la volonté des populations, ce sont les grands corrupteurs et leurs protégés, les mouvements séparatistes et leurs obligés, les narcotrafiquants et leurs complices, les terroristes et les milices armées et leurs obligés et complices qui seront majoritaires dans la nouvelle Assemblée nationale.
Le Mali vient ainsi de franchir une nouvelle étape dans le processus de décadence et de désarticulation de l’État-Nation. Ainsi, au lieu d’un Etat démocratique, le régime est en train de consolider les fondements d’une oligarchie ploutocratique qui, pour survivre quelques années de plus, acceptera toutes les compromissions, y compris des ententes avec les ennemis du Mali pour organiser la partition de l’État. Il vous suffira de lire attentivement et bien analyser les deux derniers rapports du Comité d’experts de l’Onu sur le Mali (rapport de février 2020) et de l’Observateur Indépendant sur la mise en œuvre de l’Accord issu du processus d’Alger (rapport d’avril 2020). Vous comprendrez alors que plus de 75% du territoire malien est directement ou indirectement sous le joug de mouvements séparatistes et leurs alliés terroristes et des milices armées. L’État n’y exerce plus ou très peu son autorité. Quand le Gouvernement malien s’entend avec eux pour « sécuriser » les élections et faire « élire » des « députés », que peut-on attendre d’un tel pouvoir, si ce n’est la compromission, la mise en place des outils et instruments juridiques et politiques pour organiser, à terme, la partition du Mali.
Quels enseignements doit-on tirer de la volonté du gouvernement de poursuivre ce processus, malgré la pandémie du coronavirus ?
L’objectif du gouvernement dès le départ n’était pas d’organiser des élections libres et démocratiques, mais d’orchestrer des combinaisons pour avoir une majorité de « députés » prêts à jouer le jeu de la partition programmée du Mali, à travers la révision constitutionnelle, le découpage et le démantèlement de l’État unitaire et laïc du Mali en petites principautés, régionalistes, ethniques, familiales ou raciales sous le couvert de la décentralisation poussée et de l’application de l’Accord issu du processus d’Alger, pour donner, à terme, satisfaction aux séparatistes et à leurs parrains qui tiennent le Mali en otage. Ensuite, avant la fin du mandat de IBK, ou juste après lui, ils provoqueront la nième rébellion pour parachever le processus de partition du Mali. Qui, de bonne foi, peut croire au taux de participation annoncé en 2020 (35,5%) qui, malgré l’insécurité, la guerre, le Covid-19, se trouve plus élevé qu’en temps de paix : 1992 (22%),1997 (21%),2002 (23%), 2007 (32%) ? L’ubuesque c’est que dans les régions du Nord, où l’État malien est absent (pas de préfets, pas de sous-préfets, pas d’Administration), le taux de participation en 2020 atteint entre 60 et 86%. Manifestement ce sont des faux chiffres issus du bourrage des urnes, de la corruption à grande échelle, de la manipulation des documents de vote et des résultats. En un mot, du mensonge d’État qui est le mode de gouvernance de l’oligarchie qui a pris notre peuple en otage.
Quelle analyse faites-vous du projet du gouvernement d’organiser les législatives dans les régions de Taoudéni, Ménaka… ?
C’est un élément, une étape de la stratégie de partition et de démantèlement de l’État du Mali. C’est pour prendre les Maliens de vitesse que le gouvernement a choisi la période de confinement à cause du Covid-19 pour accélérer la cadence des choses, évitant du coup les manifestations des populations hostiles à son projet funeste.
En vérité, le gouvernement met ainsi en œuvre les engagements secrets pris avec les Mouvements séparatistes pour les amener au DNI en 2019, pour ensuite les faire entériner par les délégués au DNI non conscients des véritables enjeux. C’est la répétition du scénario secret que IBK avait conclu avec eux le 20 juin 2015 pour qu’ils acceptent de parapher l’Accord d’Alger signé à Bamako le 15 mai 2015, et dont les fermetures n’ont jamais été rendues publiques.
Plus grave, les résolutions du DNI ne peuvent pas être au-dessus de la Constitution, en créant deux types de citoyens. Comment peut-on justifier que dans les régions du Nord, pour la même législature, on organise deux fois le vote dans certains cercles (avec les mêmes électeurs) pour l’élire des députés supplémentaires qui vont siéger dans la même Assemblée nationale, au motif que ce sont les élections partielles, alors que la Loi définit clairement et limitativement les conditions dans lesquelles les élections partielles peuvent être organisées. Ce sont là des pratiques dignes d’un Etat voyou.
Pouvez-vous nous parler de la situation sécuritaire de notre pays en particulier dans les localités du centre et du nord ?
Au nord et au centre, l’État n’existe que de nom. Vous avez vu, lors du voyage du Premier ministre à Kidal le 4 mars 2020, les séparatistes ont refusé la levée du drapeau du Mali. Ils ont aussi refusé que sa sécurité soit assurée par les soldats maliens, mais par leurs éléments, même pour voir les soldats maliens cantonnés à Kidal, il n’a eu droit qu’à une rencontre avec quelques-uns. Il a tout accepté pour sauver les apparences. Malgré cette humiliation, le gouvernement et les médias d’État ont parlé « d’une mission réussie ».
Au Centre, en proie à la guerre civile et aux massacres des populations, lors de ses visites en 2019, le Premier ministre a organisé des rencontres médiatisées au cours desquelles il s’est fait filmer en compagnie des chefs des milices pourtant dissoutes par décret gouvernemental. Les populations sont abandonnées à leur sort, à la merci des terroristes et des milices armées. Les militaires, faute de moyens aériens, sont à la merci des terroristes.
Dans le seul premier trimestre de 2020, les ONG ont enregistré plus de mille victimes civiles et militaires sur l’ensemble du territoire national. Aujourd’hui, à part le district de Bamako, aucune région administrative n’est épargnée par la violence et le terrorisme. Voilà la triste réalité du Mali, comme laissé à l’abandon par le gouvernement, sans aucune stratégie de sortie de la crise. Or, les discours et les images de propagande ne remplaceront jamais la réflexion et l’action continues et coordonnées. Toutes choses dont l’actuelle équipe au pouvoir s’est montrée totalement incapable.
Depuis près d’un mois que Soumaïla Cissé est entre les mains de ses ravisseurs, pensez-vous que le gouvernement est sincère dans les initiatives enclenchées pour le retrouver ?
Je présume que le gouvernement est de bonne foi dans ce qu’il dit. Mais quand on examine les faits, on ne peut pas ne pas s’interroger et s’inquiéter. D’abord le jour de l’enlèvement de Soumaïla, le 25 mars 2020, le chef de l’État s’est adressé à la Nation sans en dire mot, alors qu’il en était déjà informé. Ensuite, dans tout État organisé, après un tel événement, l’une des premières sources d’informations, c’est l’interrogatoire des personnes libérées, par les services de renseignement compétents. Or, à la date d’aujourd’hui, les compagnons d’infortune de Soumaïla qui ont été libérés en deux vagues (au total 15 personnes), n’ont pas été entendus par les sévices compétents de l’Etat, à part une séance sommaire d’écoute conduite par le Commandant de Brigade de la Gendarmerie de Niafunké. Enfin, le décret qui institue le Comité de crise annoncé par l’Etat n’est pas encore rendu public, plus de vingt jours après l’annonce officielle de création dudit Comité. Dans un État organisé, l’annonce de la création du Comité devrait se faire en même temps que la publication du décret qui l’institue. Toutes ces choses nous inquiètent et intriguent.
Qu’est-ce que l’opposition a entrepris pour sa libération ?
Dès le jour de l’enlèvement, le 25 mars, l’Urd a mis en place une cellule de crise, au sein de laquelle le Fsd aussi a désigné plus tard deux personnes. L’équipe fait de son mieux pour appuyer le Comité de crise nommé par l’État, dirigé par l’ancien PM, Ousmane Issoufi Maïga, qui est à pied d’œuvre. La cellule de crise de l’Urd et le Fsd ont pris également diverses initiatives en direction de toutes les personnalités et institutions susceptibles d’être utiles à la cause de la libération du président Soumaïla Cissé.
En ce qui concerne la réouverture des dossiers des équipements militaires, peut-on parler du réveil de la justice malienne ?
Est-ce que le dossier est véritablement ouvert ? Si oui, attendons de voir la suite, ensuite nous commenterons.
Que vous inspire les différentes arrestations pour des faits de détournement ?
Laissons les juges faire leur travail. Je n’ai pas de commentaires.
Avez-vous des commentaires sur la crise scolaire qui secoue notre système éducatif depuis plus de deux ans ?
La crise scolaire montre clairement le mépris de l’Oligarchie qui nous dirige pour les Maliens et leur avenir incarné par l’École. Quand il s’agit d’acheter du vieux matériel militaire d’occasion, cloué au sol ou des engrais frelatés, le Gouvernement trouve des centaines de milliards de Fcfa, mais quand il s’agit de trouver 20 milliards de Fcfa pour sauver l’École malienne, l’Oligarchie qui dirige le Mali dit qu’il n’y a pas d’argent. Tirez vous-même la conséquence !
Quid des mesures sociales annoncées par le président IBK dans la lutte contre la pandémie du coronavirus ?
Elles sont tardives, insuffisantes et peu crédibles. Alors que dans tous les pays africains, les chefs d’État ont immédiatement annoncé les mesures fortes, le chef de l’État du Mali, plus préoccupé par les législatives, a attendu les virulentes critiques dans les mosquées de Bamako pour sortir de son silence. Alors que les autres gouvernements mobilisent des milliers de milliards de Fcfa, au Mali on annonce seulement 500 milliards Fcfa. Qui à leur tour seront peut-être détournés comme ceux destinés à notre Armée en guerre contre le terrorisme. D’où le manque de crédibilité desdites mesures. Mais attendons d’ici à quelques semaines ou mois pour apprécier.
Votre mot de la fin ?
J’en appelle aux Maliens pour entrer en résistance patriotique contre le projet de partition de notre pays qui est en cours, contre la trahison de notre peuple et de ses intérêts supérieurs par l’Oligarchie dirigeante pour que le peuple malien recouvre sa souveraineté, son unité, son honneur et sa dignité.
Réalisée par Boubacar PAÏTAO