Après plus d’une semaine de débats contradictoires et de tiraillements entre les accusés, les membres de la Cour, le parquet et les défenseurs, Bakary Togola et ses coauteurs accusés d’avoir détourné 9 milliards de F CFA ont obtenu leur acquittement pur et simple. Ce verdict a été prononcé le lundi 22 novembre 2021 par la Cour d’assises de Bamako. Un verdict qui risque d’être changé, car le ministre de la Justice a ordonné l’ouverture d’une enquête face aux dysfonctionnements.
es travaux de la procédure contre Bakary Togola et coauteurs ont démarré le lundi 22 novembre 2021 à 9 h 15 à la Cour d’assises de Bamako. A l’appel des accusés à la barre, certains étaient absents pour cause de détention. Le ministère public a demandé au président de la Cour de leur accorder le minimum de temps pour leur permettre de rejoindre la Cour. Aux dires des défenseurs, ces absents à savoir Mamadou Fomba et Alou Dembélé n’ont pas respecté la norme. Il s’agit d’aller séjourner à la Maison centrale d’arrêt trois jours avant le jour de l’audience pour remplir les formalités et pouvoir comparaître.
Pour cette raison, les avocats ont demandé le renvoi du dossier pour que tous les accusés puissent comparaître ensemble parce que leur rôle c’est de défendre les accusés et non les représenter. La Cour s’est retirée pour examiner cette demande. Finalement, elle a décidé de renvoyer le dossier au lendemain mardi 23 novembre pour la comparution de tous les accusés et témoins.
Les paysans sont venus de toutes les régions cotonnières du Mali pour soutenir leur ancien président et ses coauteurs. La salle d’audience Boubacar Sidibé de la Cour d’appel de Bamako a refusé du monde ce lundi jusqu’à déborder dans la rue. A entendre les uns et les autres, la main droite de Bakary Togola est plus large que sa main gauche, pour témoigner de son degré de bienfaisance envers son entourage.
La deuxième journée des travaux d’audience a été marquée par le passage de Bakary Togola, du président de la Fédération de Kita, Soloba Mady Kéita et de son comptable, Mady Kéita. Le premier, à savoir l’auteur principal a nié les accusations à son encontre et déclaré avoir été trahi par des personnes de son entourage du fait de son illettrisme. Les deux autres prévenus qui devaient répondre des faits de détournement, de faux et usage de faux, sont également allés dans ce sens en ne reconnaissant pas les faits reprochés à eux.
Soloba Mady Kéita a soutenu avoir présenté les pièces justificatives de la somme de plus de 388 millions de F CFA mise à sa disposition. Quant à son comptable Mady Kéita, accusé de faux et d’usage de faux, il a déclaré que de témoin, il s’est retrouvé en accusé du fait que le juge d’instruction ne faisait pas confiance aux justificatifs qu’il avait produits.
Le mercredi 24 novembre 2021, tout comme les jours précédents, la salle a refusé du monde comme s’ils avaient passé la nuit à la Cour. Les consignes ont permis à ceux qui n’ont pu accéder à la salle de prendre attache à la fenêtre. C’est vers 8 h 45 que les accusés ont fait leur entrée dans la salle. Aussitôt, de nombreux partisans se sont attroupés auprès de Bakary Togola, car chacun tenait à le saluer personnellement pour lui témoigner de sa sympathie.
C’est aux environs de 9 h 15 que les jurés sont entrés avant de déclarer la reprise du procès avec le passage de M’Piè Doumbia à la barre. A la première question du président de la Cour, à savoir s’il reconnaissait les faits de complicité de malversations avec Bakary Togola, le vieil homme répond : « Je ne l’ai pas aidé ».
Dans ses explications, il a indiqué que sa tâche se limitait aux retraits d’argent qu’on lui confiait pour les activités de la coopérative et qu’il n’avait jamais été mêlé dans la gestion des fonds. En sa qualité de trésorier général, le vieil homme n’a pu donner d’explications claires sur les déficits trouvés dans sa trésorerie. Mieux, il n’a également pas pu décliner le montant versé dans le compte de la trésorerie
A sa suite, les jurés ont appelé à la barre le président de la Fédération régionale de Fana, Seydou Coulibaly, accusé de détournement de la somme de plus de 398 millions de FCFA au préjudice de sa Fédération. Ce dernier est également allé dans le même sens que son prédécesseur.
« Je ne suis pas responsable de ce qui a été dit », s’est exprimé Seydou Coulibaly au président qui venait de lui demander s’il reconnaissait les faits. L’ancien député a expliqué avoir produit des pièces justificatives du déficit reproché à lui. « On a donné tous les justificatifs et il restait dans la caisse plus de 5 millions de FCFA », a-t-il indiqué.
La Cour lui fera alors savoir qu’il y a plus de 172 millions de FCFA non justifiés. La défense soulignera que tous les justificatifs avaient été produits et qu’au niveau de l’instruction, un non-lieu avait même été pris mettant hors de cause leur client Seydou. L’avocat a indiqué aussi que des pièces justificatives n’avaient pas été prises en compte par la Cour.
Dans ce même esprit, la défense a soulevé l’absence des procès-verbaux des inculpés Drissa Traoré et Bourama Coulibaly non versés également à leur niveau.
Les conseils qui avaient l’impression que les pièces que détenait la Cour étaient à charge contre eux ont sollicité le renvoi du procès pour complément d’informations. Le ministère public, qui n’était pas de cet avis, a tenu de les rassurer que le dossier était au complet. Après des accrochages entre le parquet et la défense, le président de la Cour a fini par suspendre l’audience.
Et quand elle a repris après une vingtaine de minutes, c’était pour donner gain de cause aux avocats en renvoyant le procès au lendemain jeudi.
Le jeudi 25 novembre 2021, les autres accusés sont passés à tour de rôle à la barre. Chacun d’eux aussi a nié les faits comme leurs prédécesseurs.
Une minute de silence
en la mémoire de la mère
du principal accusé
Le vendredi 26 novembre, on a assisté au passage des témoins cités, tous des comptables et gestionnaires au nombre de cinq personnes. Parmi eux se trouvait le responsable administratif et financier de la Confédération, Fadiala Coulibaly qui a expliqué la mauvaise gestion qui prévalait au sein de la Confédération, avant d’indexer Bakary Togola, accusé principal d’une mauvaise gestion des fonds des cotonculteurs.
Il a soutenu avoir signalé plusieurs fois ce problème et a également mis en garde les responsables. Après ce dernier, les quatre autres ont affirmé n’avoir jamais eu accès au compte des ristournes que Bakary Togola avait à sa possession.
Le samedi 27 novembre 2021, c’est aux environs de 9 h que les compagnons de Bakary ont franchi le seuil de la salle en premier, suivi de lui-même. Visiblement l’air abattu dû à la triste nouvelle du décès de sa mère. Comme d’habitude, ses partisans ont tenu à l’approcher pour lui faire part de leur compassion. Un quart d’heure après, les juges sont entrés dans la salle et le président a présenté ses condoléances à Bakary Togola. Le parquet suivi du barreau ont également fait part de leur compassion. C’est ainsi que la Cour a fait observer une minute de silence avant de demander à l’accusé sa disposition de poursuivre le procès. D’un mouvement de la tête, l’ancien président de l’Apcam a souhaité la poursuite des travaux.
L’avocat de la partie civile s’est dit être convaincu de l’existence d’une comptabilité parallèle au niveau de la Confédération et des fédérations régionales. Me Ousmane Thierno Diallo a qualifié l’accusé principal de machine à détourner qui nie les faits en les mettant au compte de la trahison de son entourage et des hommes politiques. « Si un illettré rencontre des problèmes dans la politique, il ne s’est pas contenté d’applaudir seulement », a-t-il déclaré avant de solliciter leur condamnation sans circonstances atténuantes.
Le ministère public a brièvement expliqué les torts de chacun des membres à la barre. Par rapport à leur analphabétisme, le parquet a déclaré qu’ils n’étaient pas obligés d’assumer les responsabilités confiées à eux. « Il a géré de façon opaque la structure et acheté la complaisance de ses collaborateurs. Et lorsqu’il ne parvenait pas à t’acheter, il te mettait à l’écart et te faisait l’ennemi public des producteurs de coton », a-t-il rappelé parlant de Bakary Togola.
Après plus d’une bonne heure de réquisitoire, le parquet a estimé que les faits graves et extrêmes sont établis à leur encontre et qu’il fallait les maintenir dans les liens de l’accusation sans circonstances atténuantes parce que c’est une dizaine de milliards de F CFA qui est en jeu pour un Etat déjà à terre.
La défense n’était pas de cet avis. Pour elle, les infractions ne sont pas établies à l’encontre des prévenus. Au total, ils étaient une douzaine de conseils à passer un à un pour plaider. Ils ont défendu les intérêts de leurs clients de façon générale. Dans un premier temps, les avocats ont soulevé des failles dans la procédure d’instruction. Par des recours juridiques, la défense s’est opposée à la fausseté des pièces justificatives produites par les clients.
Ils ont aussi souligné un conflit de lois en faisant recours à l’acte uniforme de l’Ohada qui régit les coopératives. Concernant cette loi, la défense a qualifié les faits d’atteinte aux biens sociaux et non aux biens publics. Apres 4 h de plaidoirie, les conseils de la défense ont plaidé non coupables d’atteinte aux biens publics et sollicité l’acquittement pur et simple des accusés.
A la suite de ces longues plaidoiries des avocats de la défense, la nuit était déjà tombée et la fatigue se lisait sur les visages des membres de la Cour. C’est à cet effet que le président a jugé nécessaire de suspendre l’audience et a annoncé la reprise pour le lundi 29 novembre 2021.
A la reprise des travaux, la greffière est passée à la lecture des questions résultant des débats. A la réponse de ces questions, la Cour n’a pas reconnu les accusés coupables des faits de détournement des 9 milliards de F CFA et est passée à l’acquittement pur et simple de Bakary Togola et coauteurs. Ses partisans n’ont pas attendu la fin de la lecture de l’ordonnance d’acquittement avant de manifester leur joie à la sortie de la salle.
On entendait des cris de joie dans la salle d’audience. Le président a dû rappeler l’assistance au calme pour terminer sa lecture. Face au débordement des partisans qui voulaient rapprocher les accusés, un périmètre de sécurité des agents a été formé autour d’eux. Sous l’émotion, les accusés n’ont pu retenir leurs larmes.
Leur joie n’aura cependant été que de courté durée, car suite à cet acquittement, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, garde des Sceaux, Mahamadou Kassogué a demandé dans un communiqué l’ouverture d’une enquête pour cerner les contours des dysfonctionnements mettant en cause la Cour dans son entièreté.
Marie Dembélé