Les ministres Yaya Sangaré (Communication, chargé des Relations avec les institutions et porte-parole du gouvernement), Pr. Mahamoudou Famanta (Education nationale, Recherche scientifique et Enseignement supérieur) et Pr. Oumar Hamadoun Dicko (Dialogue social, Travail et Fonction publique) étaient face à la presse le jeudi 30 janvier 2020 au Centre d’Information Gouvernementale (Cigma) pour informer l’opinion nationale sur les efforts déployés par le gouvernement pour la gestion de la grève des enseignants qui paralyse l’école malienne.
Le ministre Yaya Sangaré : « L’Etat ne peut pas respecter son engagement cette année avec les enseignants et leur demande d’accepter d’étaler la prise en charge de leur revendication légale et légitime sur 2020 et 2021 comme l’avait fait en son temps l’Untm »
Dans son intervention, le ministre Yaya Sangaré (Porte-parole du gouvernement) a dit qu’un seul point fait l’objet des blocages des négociations entre le Gouvernement et le collectif des 8 syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016. Ce point de blocage, à ses dires, concerne l’application de l’Article 39 de la Loi n° 2018-007 du 16 Janvier 2018 portant statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale. En sa qualité de ministre, Porte-parole du gouvernement, il a confessé que le gouvernement reconnait la légalité des revendications des syndicats des enseignants.
« L’interprétation à la lettre de l’Article 39 est juste. Et les enseignants ont raison de rappeler que cet article stipule que toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du Statut général s’applique de pleins droits aux personnels enseignants de l’enseignement secondaire, fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale. Mais cela n’était pas l’esprit de la Loi/ Et le gouvernement n’a pas aussi tort quand il relève la divergence de fond sur les modalités d’application de cette disposition de la Loi n°2018-007 du 16 Janvier 2018 portant statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale. Parce que cette revendication du collectif des 8 syndicats signataires du 16 octobre 2016 s’adosse à un accord déjà négocié et obtenu par l’Untm en 2018 pour la valorisation de la grille indiciaire du Statut de la Fonction publique », a-t-il expliqué.
Il a ensuite précisé que le gouvernement ne refuse pas la proposition du collectif des syndicats, mais a juste demandé d’appliquer la majoration en fonction de la grille indiciaire de la Fonction publique obtenue par l’Untm en 2018. « C’est ce que les enseignants ont refusé. Ils ont exigé l’augmentation immédiate de leur grille de 180 points rétroactivement depuis le 1er janvier 2019 et 100 autres points à compter du 1er janvier 2021. C’est ce qui fait une augmentation de 280 points au lieu de 140 points que le gouvernement propose. Voilà tout le problème », a-t-il regretté.
Pour le ministre Yaya Sangaré, il y a deux lectures différentes de la même loi qu’il faut clarifier. « Les syndicats exigent l’année 2019 comme date d’entrée en vigueur de la nouvelle grille, contrairement au gouvernement qui propose 2020 », a-t-il fait savoir. Il a rappelé que l’Untm qui constitue le référentiel du collectif des syndicats a consenti une année de pause en 2020. Il a salué le soutien patriotique de l’Untm et sa grande compréhension des problèmes de l’Etat. Parce que cette Centrale aussi avait demandé l’application de ses paiements dès 2018, mais compte tenu des difficultés du pays, elle a accepté que la majoration ne prenne effet qu’à partir de 2019.
D’après Yaya Sangaré, pour le Premier ministre cette exigence des syndicats des enseignants n’est pas acceptable pour deux raisons simples. La première, selon lui, est sa soutenabilité financière. « En ce moment l’Etat ne peut pas », a-t-il dit. La deuxième raison qui est la raison fondamentale, selon lui, si l’Etat cédait à cette pression des enseignants de vouloir coûte que coûte obtenir cette majoration en faisant une rétroaction à partir de 2019, cela peut entraîner la frustration des autres syndicats. « Ce qui ouvrira en moment la voie à une spirale de revendications tous azimuts que le gouvernement ne peut pas se permettre de cumuler avec la crise multiforme que vit notre pays. C’est pour toutes ces raisons que le Premier ministre, chef du gouvernement, ministre de l’Economie et des Finances, connaissant parfaitement l’état des finances publiques, m’a chargé de dire que le gouvernement qui n’a jamais dit qu’il refusait d’appliquer l’article 39 ne peut prôner la violation de la loi. Parce que le gouvernement est respectueux de la légalité. Le langage de vérité, c’est que l’Etat ne peut pas respecter son engagement cette année avec les enseignants et leur demande d’accepter d’étaler la prise en charge de leur revendication légale et légitime sur 2020 et 2021 comme l’avait fait en son temps l’Untm », a-t-il clarifié.
Selon lui, ce langage de vérité de clarification est la gestion de l’Etat parce que le gouvernement veut que le Mali change. « Et c’est maintenant qu’il faut le faire car nous ne voulons pas créer d’autres injustices, ouvrir la boîte à pandores à d’autres revendications. L’égalité de traitement des fonctionnaires est une exigence constitutionnelle. Le même Etat ne peut traiter différemment ses fonctionnaires sur la base de disparités aussi criardes et prononcées que veulent imposer aujourd’hui nos enseignants. Céder face à cela, conduirait à la frustration des autres syndicats qui pourraient entraîner tout notre pays dans une spirale de mouvements de revendications insoutenables pour le pays », a-t-il fait savoir comme message du Premier ministre Boubou Cissé.
Le ministre a clairement dit que le gouvernement n’a aucun mépris vis-à-vis des enseignants. Parce qu’il considère que l’enseignement est un métier assez noble pour la transmission du savoir, mais aussi le partage de la connaissance. « Le métier d’enseignant doit être respecté par les parents d’élèves, les élèves et les enseignants eux-mêmes. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont appelés les éducateurs. Parce qu’ils ont une mission de participer au formatage du citoyen modèle recherché », a-t-il dit. Au nom du gouvernement, il a demandé aux enseignants la levée de leur mot d’ordre de grève, mais aussi de lever leur mot d’ordre de cessation des cours dans les écoles.
« Si rien n’est fait, nous allons assister à la paralysie de tout le système de l’éducation au Mali. Cela n’est le vœu de personne. Nous pouvons arriver à un accord parce que nous pensons que le gouvernement a été franc en reconnaissant la légalité et la légitimité de la revendication des enseignants. Mais il faut aller aux grands équilibres et éviter les frustrations pour arriver à un accord. Le gouvernement a montré les possibilités réelles du pays, sa volonté, sa disponibilité à maintenir le dialogue. Cela veut dire que les portes du gouvernement sont ouvertes au dialogue car l’école est une priorité. Le gouvernement continue à tendre la main et en appelle au patriotisme, au sens de la responsabilité, au sens du sacerdoce des membres des syndicats signataires du 15 octobre 2016 pour accepter la proposition du gouvernement pour sortir de cette crise qui n’a que trop duré. Ensemble, nous trouverons la solution. Le chemin est difficile, mais difficile n’est pas le chemin », a-t-il prêché.
PR. Mahamoudou Famanta :
« Le Premier ministre a envisagé le recrutement de 15 000 enseignants contractuels pour 6 mois au cas où les négociations avec les 8 syndicats n’aboutissaient pas. Aucun enseignant ne sera radié »
A son tour, le ministre de l’Education nationale, de la Recherche scientifique et de l’Enseignement supérieur, Pr. Mahamoudou Famanta, a donné des éclaircissements sur la grève des enseignants en 2019 et ce que le gouvernement a fait. Il a expliqué que l’année scolaire 2018-2019 a été fortement perturbée par de nombreuses grèves menées par les 8 syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016. Et sur les 10 points de revendications, 7 ont été exécutés, 2 sont en cours de réalisation et 1 retiré par les syndicats. A ses dires, « des efforts importants ont été déjà faits contrairement à ce qu’on veut faire croire à l’opinion. La majorité des points de revendication est satisfaite : 7 points sur 9 ». Il a rappelé que les enseignants ont bénéficié d’un Statut autonome consacré par la loi n° 2018 n°2018-007 du 16 Janvier 2018. « Ainsi, la valorisation de leurs indices, l’octroi de primes d’équipements et la majoration de l’indemnité de résidence coûte à l’Etat un peu plus de 24 milliards Fcfa supplémentaires sur la période 2018-2021″, a-t-il indiqué.
Pour éviter le même scénario de l’année dernière en sauvant l’année, Pr. Mahamoudou Famanta a révélé que le Premier ministre a envisagé des alternatives comme plan B. Il s’agit du recrutement de 15 000 enseignants contractuels au cas où les négociations avec les 8 syndicats n’aboutissaient pas. Mais si les négociations aboutissent, il n’y aura pas ce plan B. Il a précisé que le recrutement des 15 000 contractuels n’est pas pour remplacer définitivement les enseignants grévistes. « Il ne s’agit pas de radier qui que ce soit. Aucun enseignant ne sera radié. La Constitution donne droit au syndicat de grever. Mais par ailleurs, il est aussi stipulé dans la Constitution le droit à l’éducation de tous les enfants du pays. Les enseignants ont le droit de faire la grève, mais l’Etat a la responsabilité de faire en sorte que les enfants puissent aller à l’école. D’où la nécessité de prévoir un plan B. Gouverner, c’est aussi planifier. Donc, il s’agit du recrutement de 15 000 contractuels pour 6 mois. La loi nous le permet. Ce recrutement sera fait par le Centre des volontaires appuyé par le Ministère de l’Education nationale, de la Recherche scientifique et de l’Enseignement supérieur », a-t-il souligné.
Il a ajouté que ce recrutement n’est pas une nouvelle initiative. Parce que, a-t-il indiqué, pour satisfaire les besoins en enseignants du fondamental, du secondaire, de l’enseignement technique et professionnel, il y a un besoin de près de 23 000 enseignants à recruter.
Ne pouvant pas satisfaire ce besoin, l’Etat a décidé de planifier sur un certain nombre d’années le recrutement de 15 000 enseignants. Cela d’après lui, veut dire qu’il y avait déjà une programmation de recrutement était prévue. Coïncidence faisant, avec la grève des enseignants, il a été décidé de mettre en chantier le recrutement des 15 000 contractuels qui ne pourront pas satisfaire les besoins en enseignants du Mali. « Il ne s’agit pas de radier qui que ce soit. Il s’agit simplement de faire en sorte que pendant que d’autres sont en train de faire la grève, que les classes puissent être ouvertes pour que les enfants puissent continuer leurs études », a-t-il rassuré. Il a dit que des dispositions vont être prises par les différentes Académies afin d’outiller les 15 000 contractuels à travers des sessions de formation. Même si la grève prenait fin aujourd’hui, les contractuels seront recrutés car le besoin est estimé à 20 625 enseignants ainsi repartis : 19 713 pour le fondamental 1 et 2 et le préscolaire, 912 pour le secondaire.
Les mesures d’accompagnement des volontaires
Parlant des mesures d’accompagnement, le ministre de l’Education, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a proposé les mesures suivantes : une formation d’appoint de 5 jours pour les nouvelles recrues qui portera sur le respect du temps réel d’apprentissage ; le respect des programmes et des emplois du temps ; le respect du règlement intérieur des écoles ; les relations entre les directeurs des écoles et les enseignants ; la tenue régulière des évaluations et le réarmement moral qui est du ressort exclusif du Centre national pour la promotion du volontariat. Il a ajouté qu’il est aussi envisagé le suivi-encadrement assorti d’un calendrier de supervision. Le suivi se fera suivant deux modalités, un suivi par le niveau central en relation avec le Centre national pour la promotion du volontariat et au niveau déconcentré d’une part, le suivi de proximité par les directeurs d’école d’autre part. Les suivis entrepris par les agents du niveau central et des services déconcentrés ont, selon lui, pour objet de vérifier la présence physique des volontaires sur le terrain, d’identifier les difficultés au niveau des structures et d’apporter les correctifs nécessaires. Les suivis de proximité effectués par les directeurs portent sur le respect des normes pédagogiques, notamment les fiches de préparation, le respect des programmes officiels et les évaluations. Il est prévu la mise à disposition des ressources pédagogiques, à savoir les guides, les programmes et les manuels scolaires. Il est envisagé, également, entre autres, l’animation des cadres de concertations ponctuels au niveau des structures déconcentrées de l’Education, des Académies et des CAP afin d’obtenir l’adhésion de tous acteurs et partenaires au processus ; l’élaboration d’un programme condensé pour le 3e trimestriel de manière à prendre en charge le retard découlant de la situation de grève.
Pr. Oumar Hamadoun Dicko : « L’adoption de la Loi sur le Statut autonome de l’enseignement en 2018 avec l’article 39 pour apaiser le climat général au Mali a été une erreur que le gouvernement veut assumer intelligemment. En plus de l’incidence financière de 58 milliards Fcfa, les incidences politico-syndicales de l’application de l’article 39 vont poser des problèmes au gouvernement »
Le ministre du Dialogue social, du Travail et de la Fonction publique, Pr. Oumar Hamadoun Dicko, s’est appesanti sur le processus de négociation avec les enseignants grévistes. Il a dit que le dialogue est permanent, continu et que le gouvernement n’a pas l’intention d’interrompre le dialogue avec les enseignants grévistes.
Le gouvernement est dans cette perspective et il travaille à cela. Il a expliqué que les syndicats ont proposé l’application immédiate et entière de l’article 39. Le Ministre a dit que le gouvernement n’a aucun problème par rapport à l’application d’une Loi. Mais, a-t-il laissé entendre, il ya la lettre de la Loi et l’esprit de la Loi, l’environnement général (politique, sécuritaire …) et les grands équilibres du pays, de l’Etat, de la Nation qu’il faut sauvegarder dans le contexte régional, panafricain, international. Pour cela, un gouvernement se doit de prévoir et de s’ajuster en fonction de son environnement, de ses moyens certes, de son environnement interne et de son environnement externe. Il a révélé que l’incidence financière de l’application de l’article 39 coûte à l’Etat malien 58 milliards Fcfa.
« 58 milliards Fcfa, ce n’est pas la fin du monde. Mais c’est un montant important. Ce n’est pas l’incidence financière qui est le problème. Mais ce sont les incidences politico-syndicales qui posent problème. Parce que l’application stricte, immédiate, entière de l’article 39 entraînera également d’autres syndicats dans la même application. Et nous ne savons pas où cela peut s’arrêter. Il y a la Centrale syndicale et 10 syndicats autonomes qui sont à l’affût et qui n’attendent que cette application de l’article 39.
Et le gouvernement doit gérer tout cela et voir l’impact de tout sur notre environnement interne. Le gouvernement a fait comprendre aux syndicats qu’en dépit de sa bonne foi, de sa bonne volonté, l’application immédiate et stricte de l’article 39 telle qu’exigée n’est pas possible dans l’état et qu’il fallait trouver une solution intelligente. Nous avons ouvert les débats.
Les syndicats signataires ont refusé d’ouvrir le débat en dehors de l’application de l’article 39.
Et nous sommes à ce stade. Le gouvernement a fait intervenir toutes les personnes ressources en la matière […] Les enseignants sont restés sur leur position. Et la situation dérange tout le monde. Nous avons voulu le langage de la vérité et sortir de la pression d’un engagement qui est réel, qui est vrai. Mais nous avons voulu trouver des solutions intelligentes pour construire l’avenir et non se retrouver dans une spirale de revendications qui bloquerait notre avenir commun. » a-t-il dit.
Aujourd’hui, la question est tellement importante, le pays est fragile. Ce qui nous oblige à réfléchir ensemble aux solutions à apporter pour construire l’avenir commun. Ce langage de vérité n’a pas été compris par les enseignants grévistes », a-t-il expliqué.
Il a assuré que le gouvernement reste disponible pour le débat, mais ne souhaite pas que les grèves continuent. « Le gouvernement est prêt à l’ouverture et n’a jamais interrompu le débat. Il faudrait que les syndicats se prêtent à cette ouverture pour préserver les ressources, l’année scolaire et la paix sociale.
La trêve sociale est très importante et capitale pour notre pays. Une conférence est programmée pour normaliser les relations de travail parce qu’il y a disparité énorme entre les syndicats, les institutions, les professions, dans les grilles, dans les indices, etc. », a-t-il préconisé. Il a dit que cette grève des enseignants est un cheveu dans la soupe. Il a reconnu que l’adoption de la Loi sur le Statut autonome de l’enseignement en 2018 avec l’article 39 pour apaiser le climat général au Mali a été une erreur que le gouvernement veut assumer intelligemment. Et une commission de réconciliation a été instruite par le Premier ministre pour la continuation des discussions avec des propositions minimales dans le respect de la loi.
« L’Etat étant une continuité, les gouvernements ont été pris à la gorge pour accorder les Statuts autonomes. Aujourd’hui, ces Statuts autonomes se retrouvent dans une crise de telle façon qu’un fonctionnaire soit égal à un autre. C’est cela la question et le débat. C’est pour cela que nous avons parlé de trêve et de conférence sociale pour que tout le monde s’accorde sur l’égalité de chance au niveau de la Fonction publique. On ne peut pas créer un Statut général et sortir de ce statut petit à petit. Tout le monde veut avoir un Statut autonome.
Le défi du gouvernement, c’est de faire en sorte que tout le monde revienne dans un Statut régulier avec des grilles qui sont valables pour chacune des catégories des fonctionnaires. Mais pour arriver à cette conférence sociale, il faut créer des conditions d’une trêve sociale en comptabilisant tous les contentieux, tous les procès verbaux de conciliation et de non conciliation pour permettre au gouvernement de dire ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. La conférence sociale va normaliser les rapports de travail », a-t-il indiqué.
Siaka DOUMBIA