Plusieurs fédérations nationales sportives notamment les fédérations maliennes de football, du cyclisme, de l’athlétisme sont confrontées à des crises qui annihilent la promotion et le développement des disciplines. A cause de ces crises répétées, les athlètes et les équipes issues de ces fédérations n’ont pu enregistrer les résultats attendus ces dernières années dans compétitions sous régionales, africaines et internationales. Pour prévenir le fléau, les responsables sportifs du pays, sous l’impulsions du ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne ont mis en place la Chambre de conciliation et d’arbitrage (CCA). Nous avons mené une enquête afin de connaitre les motivations réelles des autorités sportives à mettre en place cette Chambre. La CCA peut-elle prévenir la crise au sein des fédérations ?
Nous sommes en 2015. Une crise éclate au sein de la Fédération malienne de football alors dirigée par l’inspecteur général de la police Boubacar Baba Diarra. Elle aboutit finalement à l’arrêt total des compétitions au niveau national. Cet arrêt des compétitions entrave la carrière sportive de plusieurs jeunes joueurs.
Au constat de la gravité de la crise, la Fédération internationale de football association (Fifa) décide le 9 octobre 2017 de mettre en place un Comité de normalisation (Conor) pour gérer les affaires courantes. En plus de cela, le Conor, dirigé par Mme Daou Fatoumata Guindo, est autorisé à procéder à la relecture des textes des ligues régionales, de la fédération et d’organiser une élection libre et transparente.
Le 29 août 2019, à l’issue d’une élection transparente, organisée par le Conor, Mamoutou Touré dit Bavieux est élu pour un mandat de 4 ans.
Durant ce mandat, le président de l’instance dirigeante du football malien va essayer comme il le peut de rassembler les acteurs du football. Malheureusement, il ne pourra atteindre son objectif, certaines personnes n’arrivant toujours pas à intégrer la famille du football réconciliée. La preuve en est l’existence d’un dossier contre le comité exécutif élu le 29 août 2023 au niveau du Tribunal arbitral du sport (Tas) de Lausanne en Suisse.
A l’instar de la Fédération malienne de football, un collectif des ligues régionales de cyclisme a défait le bureau dirigé par Sidy Bagayoko depuis juin 2021. Ce collectif reproche au désormais ancien président de la Fédération malienne de cyclisme sa gestion opaque des fonds de la fédération et un travail fractionnel lors de la prise de décisions importantes.
Le 26 novembre 2022, le collectif organise une assemblée générale extraordinaire pour élire un nouveau président. A l’issue de cette AGE, supervisée par le Comité national olympique et sportif du Mali (Cnosm), Amadou Togola est élu à la tête de la Fédération malienne de cyclisme. La direction nationale des sports et de l’éducation physique (Dnsep) valide immédiatement cette élection. Si les autorités sportives nationales reconnaissent Amadou Togola comme président de la Fédération malienne de cyclisme, tel n’est pas le cas à l’Union cycliste internationale (UCI), qui soutient le président Sidy Bagayoko.
Depuis bientôt un an, cette affaire est pendante au niveau des tribunaux. Avant de trouver une solution à cette crise qui ne fait que trop durer, les activités cyclistes sont à l’arrêt, ce qui joue sur la performance des cyclistes qui, ces dernières années, se sont hissés sur plusieurs podiums lors des compétitions sous régionales.
Le 24 novembre 2021, un collectif des ligues majoritaires de la Fédération malienne d’athlétisme (FMA) a été créé pour dénoncer la mauvaise organisation du conseil national de la FMA du 20 novembre 2021 qui a vu la réélection de Mme Sangaré Aminata Kéita. Quelques semaines après, il organise un nouveau conseil national afin d’élire un nouveau président du nom de Boubacar Dramé, même si l’élection de ce dernier n’est pas reconnue par les autorités sportives du pays, une crise s’est installée au niveau de cette discipline qui a entrainé plusieurs problèmes notamment le boycott des compétitions organisées par la FMA.
Ces crises à répétition au sein des fédérations nationales sportives causent beaucoup de torts au sport malien. C’est pour les éviter que les autorités sportives, sous l’impulsion du département de la Jeunesse et des Sports, chargé l’Instruction civique et de la Construction citoyenne et du Comité national olympique et sportif (Cnosm), ont mis en place une Chambre de conciliation et d’arbitrage (CCA) auprès du Cnosm en application de la loi n°2017-037 du 14 juillet 2017 régissant les activités physiques et sportives en République du Mali.
Dans son décret d’application n°2019-0758/P-RM du 30 septembre 2019 fixant les modalités d’application de la loi régissant les activités physiques et sportives, il est mentionné à l’article 46 que le Cnosm, à travers la Chambre de conciliation et d’arbitrage (CCA), procède au règlement des litiges sportifs. « A cet effet, il veille à l’inscription dans les statuts et règlements des fédérations, une clause compromissoire reliée à la saisine de la Chambre.
La composition et les modalités de fonctionnement de la Chambre de conciliation et d’arbitrage sont déterminées par décision du président du Cnosm », explique un cadre de la direction nationale des sports et de l’éducation physique (Dnsep).
Le cercle de la famille applaudit
Selon le président de la commission éthique du Cnosm, Cheick Konaté dit Takala, chargé de la mise en place, la Chambre de conciliation et d’arbitrage est prévue dans la loi n°2017-037 du 14 juillet 2017 régissant les activités physiques et sportives en République du Mali et les « statuts-types » des fédérations le précise à travers son article 79. « En référence à la loi n°034 du 14 juillet régissant les activités physiques et sportives et conformément à son article 81 et conformément à l’article 46 du décret n°2019-758/P-RM et l’article 78 de l’arrêté n°2022-144/MJSCCICC-SG du 11 mai 2022 fixant les statuts-types des fédérations nationales sportives, le Comité national olympique et sportif du Mali (Cnosm) est doté d’une Chambre de conciliation et d’arbitrage (CCA) pour le règlement des litiges sportifs opposant les structures d’organisation et d’animation ou leurs membres. Ainsi, conformément à l’article 4 de la décision n°007-2022/CNOSM portant création et fonctionnement des membres de la CCA, sous la supervision de notre commission, le président du Cnosm a proposé les noms des membres de la CCA qui a été validée par le comité exécutif du Cnosm le 12 août 2022. Il s’agit de Me Mamadou Gaoussou Diarra (avocat), Losseni Bengaly (enseignant-chercheur), Mme Diarrah Coulibaly (magistrat), Me Alifa Habib Koné (magistrat) et Djibril Kane (magistrat) », précise-t-il, ajoutant que le mandat des membres de la CCA est de 4 ans.
D’après plusieurs dirigeants sportifs, la mise en place de la Chambre de conciliation et d’arbitrage CCA peut bel et bien prévenir les conflits au sein des fédérations sportives. Selon Modibo Coulibaly, 3e vice-président de la Fédération malienne de football, la solidité de la CCA va dépendre de ses premières décisions.
« La CCA devait être créée depuis très longtemps afin d’éviter des crises au sein des fédérations sportives nationales. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a beaucoup de difficultés dans plusieurs disciplines sportives y compris le football que je gère présentement. Ces problèmes sont liés aux élections, la gestion des structures et bien d’autres. A chaque crise, il faut que les membres de la fédération se retrouvent au Tribunal arbitral du sport (Tas). Le Tas est très loin, très coûteux et il prend beaucoup de temps avant de trancher. En plus de cela, ces instances tranchent sans tenir compte de nos réalités socio-économiques. Alors, si nous avons une instance chez nous qui peut nous éviter de nous retrouver chaque fois devant le Tas, de débourser des millions pour des dossiers, je pense que cela ne peut être que salutaire. Raison pour laquelle, nous pensons que la création de cette CCA du Cnosm ne peut que nous rendre service. Cependant, il faut qu’elle soit une structure qui joue réellement son rôle et qui ne rentre pas dans les histoires de clan », précise-t-il.
Abondant dans le même sens, le secrétaire général de la Fédération malienne de tennis, Amadou Dicko, se réjouit de la mise en place de cette chambre. « Je pense que la mise en place de la CCA au sein du Cnosm est très salutaire. Elle va permettre de combler un vide juridique pour le monde du sport. Avec cette Chambre, nous avons un outil juridique qui nous permet de gérer les contentieux au sein du Mouvement sportif et olympique national. Elle va nous permettre de nous éloigner des tribunaux ordinaires qui ont une autre vision de l’application du code pénal et de la procédure pénale. Le sport ayant ses spécificités, il est important d’avoir des juges qui maîtrisent les textes liés aux activités sportives, la loi sur le sport, les décrets d’application et puis les textes du Cnosm et des fédérations sportives afin qu’ilspuissent bien trancher. Je pense que sa mise en place est une très bonne chose.
Alors, il faut vulgariser la mise en place de la Chambre auprès du monde du sport notamment les athlètes, les dirigeants, les partenaires et les journalistes sportifs ; ces excellentes choses que le Cnosm a pu faire pour éviter les crises au sein des fédérations nationales sportives », exhorte-t-il.
Pour le président de la Fédération malienne de natation, Mamourou Bouaré, les membres de la CCA doivent absolument maîtriser les textes dans le domaine du sport avant d’entamer le travail. « La Chambre de conciliation et d’arbitrage créée auprès du Cnosm dont les membres ont été récemment nommés a pour mission de gérer les différents conflits entre les fédérations et les membres des fédérations. Malheureusement, nous constatons avec regret qu’il y a beaucoup de conflits au sein des fédérations, mais qui sont plutôt réglés au niveau de la justice. Or, je doute fort que nos magistrats maitrisent bien les textes qui régissent le sport au Mali. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas transplanter le problème lié au sport au niveau des tribunaux ordinaires parce que les magistrats de ces tribunaux ne maitrisent pas les textes sportifs », dit-il.
Très content de la mise en place de la CCA, Mahamadou Draba, trésorier général de la Fédération malienne de boxe, précise qu’elle permettra d’amener la stabilité au sein des fédérations. « Communément appelée Chambre de conciliation et d’arbitrage, c’est un outil juridique pour toute discipline sportive et elle est placée sous le contrôle du Cnosm. Je pense bien que sa mise en place permettra de stabiliser et régulariser les conflits au sein du sport. Je pense qu’elle jouera son rôle afin d’éviter les crises au sein des fédérations nationales sportives parce que c’est une volonté du gouvernement du Mali sous le leadership du Cnosm. A mon avis, elle doit être une chambre neutre qui va trancher les litiges de façon équitable pour que chaque partie puisse tirer ses profits », dit-il.
Un bémol ?
Papa Oumar Diop, journaliste sportif de renom, note que la CCA est un tribunal pour rendre un avis entre deux parties en conflit, mais dans un esprit de réconciliation. « La CCA est une initiative du Cnosm qui a tiré des enseignements des nombreuses crises qui ont secoué le monde du sport au Mali même si les gens ne connaissent que la célèbre crise du football. Il y a toujours existé dans le monde du sport dû à des rivalités qui ont souvent poussé certains à ignorer toute notion d’éthique sportive afin de s’imposer surtout en tant que domaine d’activité sociale. Les gens ont voulu contourner les textes pour se faire élire tout simplement tout comme dans le monde politique, rien que par leur puissance personnelle, leur puissance matérielle et leurs relations. Lorsque depuis des années, on constate que les conflits sportifs sont judiciarisés, il devenait absolument urgent et impératif de mettre en place un organe ou un instrument qui puissent rendre la justice sportive parce qu’il ne s’agit pas de justice tout court, il s’agit de justice sportive. La justice sportive n’est pas le gain obtenu par un seul individu. Il ne s’agit pas de quelqu’un dont on vole la chose et qui se plaint pour que la réparation soit faite.
Non, la justice sportive, c’est veiller à ce que l’esprit sportif, le respect des textes soit observé. On ne rend pas la justice sportive au bénéfice d’un individu, mais au bénéfice des pratiquants d’une discipline sportive », explique le doyen Diop. « La CCA est un tribunal pour arbitrer, rendre un avis entre deux parties en conflit, mais dans un esprit de réconciliation. Il y a une grosse différence entre la justice sportive et la justice pénale parce qu’à la justice sportive, l’individu ne gagne pas, c’est l’entité sportive qui gagne. Il est important de rappeler que les institutions sportives ont été les premières associations dont la mise en place a été permise aux indigènes, ils n’avaient pas le droit de faire une association politique ou religieuse, mais les premières associations autorisées par les colons étaient les associations sportives. Le monde du sport est très vieux avec des règles bien établies. La mise en place de cet organe est de ramener les gens au respect de l’éthique sportive des textes », conclut-il.
Débat d’idées
La majeure partie des dirigeants sportifs pensent que la mise en place de la CCA peut bel et bien prévenir les crises au sein des fédérations, mais il y a également d’autres que ne sont pas de même avis. Ces dirigeants sportifs, qui ont requis l’anonymat, dénoncent les membres qui vont diriger cette Chambre. Selon un contestataire, les membres de la CCA ne connaissent rien dans le sport. « Je suis contre la composition des membres de la Chambre, car ils ne maîtrisent pas les textes sportifs de notre pays. Ce sont seulement des magistrats, des avocats et un universitaire. Ils n’ont jamais pratiqué une discipline sportive.
Mon souhait était de chercher des anciens dirigeants sportifs qui connaissent la réalité des fédérations. Ces anciens dirigeants peuvent être secondés par un ou deux magistrats », préconise-t-il.
En tout état de cause, des dirigeants et acteurs sportifs sont d’accord pour la mise en place de la Chambre de conciliation et d’arbitrage, estimant qu’elle peut être un bon mécanisme pour prévenir les crises au sein des fédérations sportives nationales. Mais, contrairement à ces dirigeants, d’autres acteurs sportifs ont montré leur opposition par rapport à la constitution de cette Chambre. Ils pensent que les membres de la CCA n’ont pas les compétences nécessaires pour bien trancher les litiges parce qu’ils ne maîtrisent pas les textes sportifs. Pour que les acteurs (dirigeants, athlètes, journalistes, médecins…) puissent opter pour cette chambre, le Comité national olympique et sportif du Mali (Cnosm) devrait faire une large campagne auprès de ces acteurs afin de leur parler des missions et des rôles de la CCA.
Mahamadou Traoré