LE BâTONNIER MAîTRE OUSMANE BOUBA TRAORE LORS DE LA PRESTATION DE SERMENT DES NOUVEAUX MEMBRES DE LA COUR SUPRêME : « Conformément à son serment, le magistrat exerce ses fonctions avec loyauté et avec le souci de la dignité des personnes »

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Les nouveaux membres de la Cour suprême du Mali ont officiellement prêté serment, le 18 août dernier, lors d’une cérémonie solennelle présidée par le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, président du Conseil supérieur de la magistrature. Plusieurs personnalités étaient au rendez-vous dont le Premier ministre et les membres du gouvernement. Sans oublier les membres de la grande famille judiciaire et les ambassadeurs accrédités au Mali L’occasion était bonne, pour le bâtonnier Me Ousmane Bouba Traoré, de rappeler que « le serment est un pan de notre patrimoine sociétal et culturel ». Avant de faire un clin d’œil sur les valeurs d’un magistrat. Il s’agit de l’intégrité, la probité et la loyauté. Voici le discours intégral du bâtonnier.

C’est toujours pour moi, un plaisir renouvelé que de prendre très humblement la parole en m’adressant à la Cour et pour porter la voix du Barreau du Mali. Mission simple, diront certains, tâche difficile, diront d’autres.

Messieurs les Hauts magistrats de la Cour suprême,

Vous aviez déjà prêté serment lors de votre entrée en fonction et pour autant, devant la juridiction suprême, l’engagement qui avait été pris par vous de vous conduire « en tout comme un digne et loyal magistrat » ne saurait suffire.

D’aucuns seront tentés de jouer à la dérision, en affirmant que serment sur serment ne vaut. Mais je répondrai par la solennité qui sied à cette audience de l’Auguste juridiction et avec gravité d’ailleurs que le renouvellement du serment à ce niveau, précédant pour beaucoup d’entre vous le départ à la retraite, est une réminiscence ou une sorte de piqûre de rappel, relativement à vos engagements de bien remplir les devoirs de la fonction de magistrat.

Venir donc m’exprimer devant vous, j’en fais le serment, devient donc un devoir.

Le serment est un pan de notre patrimoine sociétal et culturel.

En effet, la Charte de Kurukanfuga qui a été convoquée en 1236 après que le Manding se fut libérer du joug de Soumagourou Kanté contenant 44 articles devant régir la vie du grand peuple manding dans toutes ses composantes et sur tous ses aspects organisationnel, économique, culturel juridique et environnemental n’a été rendue possible que suite au serment d’allégeance de douze chefs de province à Soundiata Kéita, lors de la première Assemblée constitutive.

D’aucuns par complexe, ou par peu d’amour pour leur propre culture diront que notre Histoire n’est pas écrite, oubliant qu’au commencement était la parole et non l’écrit, et d’ailleurs la Bible et le Coran n’ont-ils pas été révélés oralement avant d’être transcrits ?

Soyons fiers de nous-mêmes.

Amadou Hampaté Ba, le philosophe malien, écrivain et non moins humaniste ne disait-il pas que : « Le verbe est un attribut divin, aussi éternel que le Dieu Lumineux. C’est par la puissance du verbe que tout a été créé. En donnant à l’homme le verbe, Dieu lui a délégué une part de puissance créatrice ».

En restant toujours dans le sillage du serment, l’article 23 de la charte précitée édicte : « Ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur ».

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats, vous qui allez prêter serment à nouveau, je vous exhorte à honorer votre parole, car cette dernière a une valeur sacrée.

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats, retenez que : « Chaque individu est le gardien de ses propres valeurs. Chaque professionnel est le gardien des valeurs de sa profession. Par le serment, il proclame solennellement son adhésion à ces valeurs et s’engage à les protéger ».

Parmi ces valeurs figurent :

L’intégrité : le magistrat se doit d’être intègre pour se conformer à l’honneur de son état. Il présente dans son exercice professionnel et dans sa vie personnelle, les qualités d’intégrité qui le rendent digne d’exercer sa mission.

La probité : la probité du magistrat s’entend de l’exigence générale d’honnêteté.

Le magistrat se comporte avec délicatesse et il est affranchi de l’argent sale.

La probité est l’antithèse de la corruption qui détruit la conscience professionnelle.

Comme nous enseigne le Talmud des Hébreux : « Malheur à la génération dont les juges méritent d’être jugés ».

La loyauté : conformément à son serment, le magistrat exerce ses fonctions avec loyauté et avec le souci de la dignité des personnes.Et la loyauté procédurale s’entend du respect des lois et des principes directeurs de procédure civile, pénale et administrative qui fixent les pouvoirs et les devoirs des magistrats.

Mesdames et Messieurs

les hauts magistrats,

Vous aurez donc compris que le serment fait peser sur vous tous des charges titanesques faisant de vous des enfants de Gaia et d’Ouranos de la mythologie grecque dont le plus célèbre est Themis, la déesse de la justice. Elle doit vous servir de bréviaire.

Oui ! Parlant de Themis, je ne puis m’empêcher de vous dire que certains magistrats l’ont dévoyée. Hélas !!!! Extirper de vos rangs ceux qui ne croient pas en Themis et aux valeurs qu’elle incarne.

Réappropriez-vous les trois symboles de Themis ; à savoir : la balance, le glaive et le bandeau.

La balance est l’instrument de la pesée des âmes et des actes. Elle représente l’équité, l’équilibre, la prudence et l’harmonie.

Le glaive symbolise l’aspect répressif de la justice. La justice n’est rien sans la force qui permet de la faire appliquer. Et enfin le bandeau : il représente l’impartialité. La justice doit décider en toute objectivité.

Mesdames et Messieurs

les hauts magistrats,

Vous exercez un métier noble, celui de juger vos semblables. Vous êtes la juridiction suprême nationale chargée de veiller au respect et au triomphe du droit.

Votre responsabilité est donc beaucoup plus grande.Mais, hélas, le peuple se plaint de cette institution par la faute de certains de ses membres qui voient en Themis une chimère. Devrions-nous les laisser faire. La réponse est assurément non. Il faut sanctionner les fautifs et faire la promotion des honnêtes.

Le salut de la justice et la confiance en l’institution sont à ce prix.

Nous pouvons renverser la tendance du jugement négatif que beaucoup de Maliens portent non seulement sur le fonctionnement matériel de la justice mais aussi sur le degré de confiance morale qu’ils accordent au juge.

– Mieux développer un sens plus collégial de l’indépendance,

– Mieux maîtriser nos tendances individualistes dans l’exercice de l’indépendance de la justice,

– Rechercher un contenu plus élaboré au sens du devoir et de loyauté vis-à-vis de l’institution,

– Favoriser les démarches de concertation entre juges exerçant les mêmes fonctions de façon à déterminer ensemble des consensus, des standards d’approche des situations similaires mieux partagés,

– Favoriser les rapprochements de jurisprudences de sorte que ce qui vaut au niveau du tribunal ou de la Cour d’appel, vaut aussi à l’échelle nationale pour ainsi dire harmoniser les décisions et renforcer dans le public le sentiment de prévisibilité et donc de sécurité à l’égard de la justice sont les conditions indispensables d’une justice crédible. Parce que les décisions qu’elle rend doivent établir les grands principes du droit qui structurent notre société, tout en portant sur les multiples aspects de nos vies quotidiennes, la Cour suprême joue en cela un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de notre démocratie.

Aux termes de l’article 2 de la loi n°2016-046/AN-RM du 23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle : « La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire, administrative et des comptes ». Elle doit donc donner aux tribunaux et cours d’appel la bonne interprétation claire et précise des textes de loi, afin d’unifier celle-ci sur l’ensemble du territoire.

Par les décisions qu’elle rend, la Cour suprême doit offrir aux citoyens la garantie de voir les règles de droit appliquées à tous de la même façon, que leurs litiges soient tranchés à Bamako, à Kayes, à Mopti ou ailleurs au Mali.

Madame et Messieurs les récipiendaires, votre enthousiasme pour servir avec passion la justice qui constitue l’engagement de votre vie, au service de nos concitoyens, vos qualités d’humanité, d’humilité et de courage, vos carrières respectives et respectables vous permettront d’arriver à ces solutions.

Le serment que vous allez prêter en application des dispositions des articles 22, 37, 56, 69 de loi n°2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle, modifiée en décembre 2022, renferme la quintessence de votre profession. Il contient les principes intangibles de l’exercice de votre charge, à savoir l’honneur, la dignité, la loyauté

Sur ce, je sollicite qu’il plaise à la Cour donner à Madame le greffier en chef acte de la lecture du décret de nomination des magistrats appelés à prêter serment en cette cérémonie solennelle, donner acte au procureur général près la Cour suprême de ses réquisitions, me donner acte de mon intervention, recevoir le serment des récipiendaires, leur en donner acte et les renvoyer à l’exercice de leur fonction. Qu’il plaise à la Cour ordonner que du tout il soit dressé procès-verbal qui sera classé au rang des minutes du greffe de la Cour suprême et pour y recourir en cas de besoin ».

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