SCANDALE DU MARCHé D’éQUIPEMENTS MILITAIRES ET DE L’ACHAT DE L’AVION DE COMMANDEMENT: Pourquoi la Cour suprême remet l’affaire sur le tapis
Faux en écriture, atteinte aux biens publics, favoritisme, surfacturation, fraudes fiscales, violations répétées du code des marchés publics… sont quelques-uns des griefs qui motivent la réouverture des enquêtes sur l’affaire de l’avion présidentiel et des équipements militaires. Un dossier qui incrimine l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga (ministre de la Défense et des Anciens combattants à l’époque des faits), Mme Bouaré Fily Sissoko (ministre de l’Economie et des Finances), Moustapha Ben Barka (ministre délégué à la Promotion des investissements) et nombre de personnalités du monde des affaires.
n croyait l’affaire définitivement close après le classement sans suite suivant décision n°28/PR/017 du 18 août 2017 du procureur de la République chargé du Pôle économique et financier du Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, mais c’était faire fi des arcanes et des subtilités du droit, qui permettent, apprend-on, à la justice de revenir sur une affaire classée sans suite, avec la survenue de faits nouveaux.
Au-delà de la polémique entre les spécialistes du droit sur la compétence ou non de la Cour suprême à se saisir de l’affaire dite de l’avion présidentiel et des équipements militaires dans laquelle les noms de trois membres du gouvernement en son temps sont cités, une source proche du dossier souligne que la totalité des équipements a été fournie par des sociétés non attributaires du marché comme Acma, SOFRADC et Mag. Ce qui, du point de vue du droit, est une grave entorse à la loi.
Ensuite, le parquet général de la Cour suprême reproche pêle-mêle aux personnalités incriminées le choix du gré à gré en lieu et place de la consultation restreinte ; le paiement de frais bancaires d’un montant de 5 milliards de Fcfa aux frais de l’Etat sur la garantie autonome à première demande de 100 milliards de Fcfa annulée ; le paiement d’environ 9 milliards 350,1 millions de Fcfa de frais d’approche pour Guo-Star, avant même la définition des termes de la convention ; le paiement d’un frais de transit d’un montant de plus 453 millions de Fcfa ; la non traduction du contrat du marché en langue française (il n’est disponible qu’en anglais).
L’autre grief porte sur l’usage injustifié de l’article 8 du code des marchés publics (secret-défense). A ce propos, de hauts magistrats de la Cour suprême arguent que les matériels figurant sur les devis (pelles, pioches, bérets, macarons, bidons individuels, couverture en laine, tente, etc.), sont des biens ordinaires dont le marché pouvait être passé par la procédure ordinaire des marchés publics ; autrement dit aucune nécessité de les couvrir par le secret-défense.
Du reste, pour justifier l’inapplication du secret-défense aux commandes passées, la Cour suprême vise l’article 15 de la loi de 1998 régissant les relations entre l’administration et les usagers du service public, qui règlemente les conditions de délivrance de certains actes tout en classifiant ceux qui sont frappés du sceau secret-défense.
Le procureur de la Commune III est-il allé au-delà de ses pouvoirs en classant l’affaire sans suite ? Pour un praticien du droit, cela ne fait pas l’ombre d’aucun doute. « Il importe de signaler que la loi ne donne pas de pouvoir au procureur du Pôle économique ni pour décider d’un classement sans suite ni pour mettre en mouvement l’action publique dans les affaires où des ministres de la République ou assimilés sont impliqués et sont dès lors sujets à poursuite pénale ».
Il convient de préciser que le classement sans suite décidé par le procureur de la Commune III est motivé par l’article 9 de la directive n°4/2005/CM/Uémoa du 9 décembre 2005 et l’article 8 du décret portant procédure de passation des marchés publics qui disposent que « la présente règlementation ne s’applique pas aux marchés de travaux de fourniture et de services lorsqu’ils concernent les besoins de défense et de sécurité nationale exigeant le secret et pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec les mesures de publicité ». Un prétexte ?
C’est en tout cas sur instruction du garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme que le procureur du Pôle économique, par lettre 033/PR-CIII-Bamako du 10 décembre 2019, a décidé de la réouverture des enquêtes dans ce dossier. Le procureur estime que la première enquête serait incomplète parce que plusieurs personnalités intervenues dans la conclusion des contrats n’ont pas été entendues et conteste l’argumentaire développé par son prédécesseur. Pour le nouveau procureur, un nouvel examen du dossier peut aller au-delà des infractions retenues et discutées et aboutir à d’autres malversations. Voilà pourquoi l’enquête est de nouveau confiée à la Brigade économique du Pôle économique et financier de la Commune III.
Le sort en est jeté
D’ores et déjà, celle-ci a entendu plusieurs personnes ayant joué un rôle si minime soit-il dans les faits dénoncés et permis une collecte documentaire en lien avec les faits incriminés. Concernant sa compétence à connaître de l’affaire, la Cour suprême, notant l’absence de la Haute Cour de justice pour juger les ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée nationale, rappelle son arrêt n°7 du 10 mars 1981 dans l’affaire ministère public et l’Etat du Mali contre Kissima Doukara (membre de la junte au pouvoir et ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité au moment de son arrestation le 28 février 1978, Ndlr) et autres, soulignant que la traduction d’une personnalité devant la Haute Cour de justice s’apprécie par rapport à l’existence des textes législatifs y afférents ainsi que par rapport à sa mise en place effective.
D’ailleurs, étant donné que les faits ont été commis entre le 13 novembre 2013 et le 10 février 2014, date de signature des conventions incriminées alors que la Haute Cour de justice n’est devenue opérationnelle que le 22 avril 2014, faire intervenir cette institution, au demeurant éminemment politique, serait une violation du principe de la non rétroactivité des lois pour des faits commis avant cette date marquant son effectivité fonctionnelle, se défend-elle.Alea jacte est ! En d’autres termes, le sort en est jeté ! Les uns et les autres devraient donc plutôt s’attacher à trouver les arguments pertinents et imparables pour se blanchir ou pour conforter l’accusation.Ce procès devrait en tout cas renforcer le socle de l’Etat de droit au Mali et signifier la fin de l’impunité. La Rédaction