AFFAIRE DE LA GESTION DE L’ASSEMBLéE NATIONALE SOUS ISSIAKA SIDIBé : Une procédure entachée d’irrégularités ?

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S’il reste encore une once d’indépendance, d’impartialité et de probité au sein de la Justice malienne (article 133 de la Constitution du 22 juillet 2023), MM. Issaka Sidibé et Mamoutou Touré « Bavieux » devraient rapidement sortir de prison et regagner les leurs. Et pour cause : dans l’affaire dans laquelle l’ancien président de l’Assemblée nationale du Mali (2014-2020) et l’ancien directeur des services administratifs et financiers, le dossier serait, de l’avis de tous les spécialistes et sur la base de preuves concrètes et tangibles, une coquille vide. Mieux, il y a, de toute évidence, vice de forme qui rend caduque toute la procédure de contrôle et d’inculpation des deux cadres. Le troisième larron initialement cité dans l’affaire, Mamadou Diarrassouba, bénéficie de l’immunité parlementaire que seuls les députés peuvent lever. Le président Malick Diaw, qui commis l’outrecuidance de permettre le contrôle de la gestion de son institution par l’Etat, ne commettra sans doute pas une deuxième erreur qui sera fatale à tous les membres du CNT qui sont en train d’émarger, pour certains indemnités et avantages, en l’absence de toute base juridique. Ils ont déjà carotté plus de 10 milliards d’août 2020 à juillet 2023.

Petit rappel du droit constitutionnel malien via quelques extraits tirés de la Constitution du 22 juillet 2023 :

Article 129 : Le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif…

Article 130 : Le pouvoir judiciaire est gardien des libertés… Il veille au respect des droits et des libertés…

Article 131 : La justice est rendue au nom du Peuple malien.

Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de l’application impartiale de la loi…

Article 132 : Les Juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi…

Article 133 : Tout manquement, de la part du Juge à ses devoirs d’indépendance, d’impartialité et de probité, constitue une faute professionnelle grave passible de sanctions disciplinaires, sans préjudice, le cas échéant, de poursuites judiciaires.

Article 134 : Le Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire…

Si nous faisons ce renvoi à notre nouvelle Constitution très chèrement acquise par le peuple malien, c’est pour dénoncer l’attitude et la décision du juge qui a envoyé en prison Issaka Sidibé et Mamoutou Touré dit « Bavieux » respectivement ancien président et ancien directeur des services administratifs et financiers de l’Assemblée nationale du Mali (2014-2020).

En effet, l’homme de droit, censé veiller « au respect des droits et des libertés », n’aurait même pas daigné entendre les « accusés » le temps de cinq fois le tour d’une horloge. Comme téléguidés par une influence (un ordre ?) extérieur, le juge en charge du dossier les a expédiés en taule en un éclair manquant du coup « à ses devoirs d’indépendance, d’impartialité et de probité ». « Une faute professionnelle grave passible de sanctions disciplinaires, sans préjudice, le cas échéant, de poursuites judiciaires », dixit la Loi fondamentale.

Un coup prémédité

Le 9 août 2023, l’opinion nationale et internationale apprenait avec stupéfaction qu’Issaka Sidibé et Mamoutou Touré étaient inculpés et placés sous mandat de dépôt. Ont également connu le même sort, Modibo Sidibé, ancien secrétaire général de l’Assemblée nationale et secrétaire général du Conseil national de Transition (CNT), Demba Traoré, comptable à la retraite depuis 6 ans et Kalifa Angha, contrôleur financier à la retraite.  

Convoqués par un juge d’instruction du cabinet numéro 9 au Pôle économique et financier du Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, et après les avoir interrogés très brièvement, le magistrat leur a signifié leur inculpation « pour atteinte aux biens publics ainsi que pour faux et usages de faux et complicité », et leur placement immédiat en détention provisoire à la Maison centrale d’arrêt de Bamako. En plus, plusieurs fournisseurs sont placés sous contrôle judiciaire. Mais, le ridicule vient lorsque l’on saura plus tard que le préjudice, donc le montant incriminé, s’élèverait à 17 milliards de F CFA dont 10 milliards pendant l’année 2014 et 7 milliards de F CFA de 2014 à 2017.

Un dossier presque vide

Comme une coquille vide, le dossier qui incrimine Issiaka Sidibé, Mamoutou Touré et consorts est tellement léger que nul n’est besoin d’être un spécialiste en droit pour conclure à un règlement de comptes, notamment à l’encontre des têtes d’affiche, l’un, cadre influent du RPM, ex-parti au pouvoir, et l’autre, président de la Fédération malienne de football en fin de mandat et à 20 jours piles de l’Assemblée générale élective. Et pour cause.

On parle de 10 milliards détournés au cours de l’année 2014. Ce qu’il faut savoir à ce niveau, c’est que le budget total de l’Assemblée nationale du Mali en 2014 était de 10 milliards de F CFA. Sur ce montant, quasiment insignifiant, les charges des députés et du personnel, à savoir les salaires (gérés d’ailleurs par le Bureau central des soldes – BCS) et les indemnités représentent 68 %, soit 6,8 milliards de F CFA. Le reste, 3,2 milliards de F CFA, est injecté dans l’ensemble des autres dépenses annuelles de l’Institution parlementaire comme les charges de fonctionnement interne, les fournisseurs, les missions, etc.

Si 10 milliards FCFA (équivalent au budget annuel, rappelons-le) avaient été détournés, comment l’Institution a-t-elle pu fonctionner cette année-là ? Donc, les 10 milliards incriminés sont tout à fait justifiables. Intégralement. Moralité n°1 : l’argument tombe à l’eau.

Concernant les 7 milliards supposés volatilisés de 2014 à 2015, leur destination est tout aussi connue. La vérité est qu’en 2015, les indemnités ont été augmentées par le président Sidibé sous la (très) forte pression des députés. Mais, la bonne nouvelle est qu’il y a la délibération de cet acte ainsi qu’une décision dûment signée pour chaque indemnité spéciale concernée (cf. les fac-similés).

C’est pourquoi, les enquêteurs n’ont, en réalité, rien eu à se mettre sous la dent que quelques dossiers de fournisseurs qui ont « dribblé » les impôts pour un montant total de 38 millions de F CFA déjà remboursés d’ailleurs.  Moralité n°2 : l’argument ne tient pas.

Vice de procédure

Selon nos sources, la dénonciation a été faite par le Premier ministre. Le principe de procéder au contrôle a été accepté par le président du CNT, colonel Malick Diaw après plusieurs refus. Et la tâche confiée au Contrôle général des services publics. C’est là où le bât blesse. Car, le gouvernement et son administration n’ont aucun pouvoir de contrôle sur l’Assemblée nationale, ni sur son action. Au contraire, selon l’article 127 de la Constitution du 22 juillet 2023 : « Le Parlement contrôle l’action du gouvernement. Les membres du Parlement peuvent poser des questions écrites aux ministres…. Les membres du Parlement peuvent poser aux ministres des questions orales et des questions d’actualité ».

Pour en revenir à l’aspect juridique de l’affaire, ce sont les agents du Contrôle général des services publics qui ont mené les enquêtes. Or, il nous revient que seule la Cour des comptes est habilitée à faire ce genre de contrôle, selon la Constitution : « La Cour des comptes peut, à tout moment, exercer tout contrôle, soit de sa propre initiative, soit à la demande du président de la République, du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ». (Article 159).

En effet, « la Cour des comptes est la juridiction supérieure des finances publiques et l’institution supérieure de contrôle des finances publiques. Elle a des attributions juridictionnelles, de contrôle et de consultation ». (Article 156). « La Cour des comptes juge les comptes des comptables publics de deniers et de matières.Elle contrôle la régularité des opérations financières, sanctionne les fautes de gestion, déclare et apure les gestions de fait ». (Article 158). C’est dire que le Premier a tapé à côté, rendant caduque toute la procédure qui a conduit à l’emprisonnement d’Issaka Sidibé et Mamoutou Touré, et arbitraire cette détention. Moralité n°3 : le château de mensonges s’écroule. Comme le dit le dicton, le plus grave n’est pas de commettre une erreur, mais de refuser de la réparer. C’est pourquoi, il est attendu des autorités judiciaires qu’elles libèrent, les « détenus » afin qu’ils regagnent leurs familles respectives.                La Rédaction

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