En jouant une finale de coupe du Mali, et des éliminatoires de la coupe UFOA, l’AS Biton de Ségou avait des raisons d’espérer dans le gotha du football malien. Seulement que ce rêve s’est transformé en cauchemar, avec le départ de certains éléments clés comme Bréma Gueye, Vital Ky et Kabirou Bah. Le premier (un de nos anciens héros) a ébauché dans cette même rubrique les raisons de sa décision de transférer au Stade malien. Le deuxième nous a dit qu’il veut vivre dans l’anonymat totale, donc il n’a pas voulu nous accorder une interview jusqu’à son décès. Le troisième est notre héros de la semaine dans le cadre de la rubrique « Que sont-ils devenus ? ». Les ainés se rappelleront facilement ce longiligne à la morphologie particulière : 1m95, avec un teint clair, beau et élégant. Les doyens Djibril Traoré et feu Demba Coulibaly le surnommait « l’enfant du Kala de Niono ». Sa belle prestation contre le FC Bassam en 1983 avec le Biton, et les finales de coupe du Mali 1984, 1985 et 1986 remportées par le Stade malien de Bamako face au Djoliba AC sont des repères pour se rappeler de ce jeune Ségovien qui avait l’art de détruire le système de jeu adverse. Après une seule saison à l’AS Biton de Ségou (1982 -1983), il transféra l’année suivante au Stade malien, pour prêter main forte à la génération de jeunes talents formée par feu Mamadou Keïta dit Capi. Il s’est exilé en France le 14 septembre 1987, et dès lors on a perdu ses traces. La direction du journal a reçu plusieurs coups de fil, pour qu’il soit le héros de la présente rubrique. Et nous n’avons cessé de chercher ses adresses. Heureusement que l’un des fidèles lecteurs de la chronique » Que sont-ils devenus ? « , Boubou Diallo est parvenu à nous mettre en contact. Kabirou était à Bamako pour des raisons de famille (il est retourné le 03 avril courant). Nous l’avons rencontré pour parler de sa carrière sportive, de sa vie en France, de son retour au bercail.
ensionnaire du centre de formation du Stade malien de Bamako dirigé par Lamine Traoré dit Jules, nous avons parfois été témoin de coup de gueule de certains supporters du club. Ceux-ci dénonçaient au vieux Batourou Sékou Kouyaté (ex sociétaire de l’Ensemble Instrumental du Mali, et fervent supporter des Blancs de Bamako) l’attitude de Kabirou Bah à leur égard. De quoi s’agit-il ?
Non à l’auto stop !
Au fait, le joueur logeait à Djélibougou, et il ralliait le terrain d’entrainement du Stade sis à Hamdallaye (ACI 2000) au petit trot. Des supporters qui le croisaient en cours de route se proposaient de lui raccourcir la distance. Paradoxalement Kabirou Bah déclinait l’offre et continuait sa course. Cette attitude que ces supporters qualifiaient d’incompréhensible les choquait parfois. Mais, le vieux Batourou Sékou veillait à leur faire comprendre que le jeune doit avoir ses raisons. L’essentiel est que le Stade lui ait acheté une moto, et qu’il soit régulier et ponctuel aux entrainements. Très jeunes, nous ne comprenions rien ni dans le comportement de Kabirou, ni dans la réaction des supporters. Seuls les jetons du vieux Kouyaté nous intéressaient tous les jours à la fin des entrainements.
Quand il s’est agi pour nous de rencontrer l’enfant du Kala de Niono, il nous a dit ses motivations à refuser l’auto stop de certains supporters. En réalité, son attitude n’avait rien de méprisant. Il courrait dans le but de maintenir sa forme, son endurance. En son temps, il était vraiment bien portant et infatigable.
A Bamako pour des raisons de famille, nous l’avons rencontré à Niamana chez son beau-frère. Et lorsqu’il est venu nous accueillir au bord du goudron, l’émotion nous a envahis. L’ancien joueur du Stade malien a pris de l’âge. Ce n’est plus le jeune peulh qui jouait les 90 minutes avec le même rythme soutenu. Dans une atmosphère de convivialité, il nous conduit dans la famille, mais déjà nos questions ont commencé à pleuvoir.
Natif de Niono, Kabirou s’est distingué dans trois disciplines : le football, le basketball et l’athlétisme lors des semaines locales, régionales, et surtout la biennale organisée à Ségou en 1979.
Sociétaire de l’équipe du Kala de Niono, il remporta la coupe régionale en juin 1981 face à l’Olympique de Ségou. Sélectionné la même année pour la biennale devant se tenir à Mopti, il côtoie d’autres jeunes sportifs : Vital Ky, Jules Bathily, Thierno Diarra, Baba Maïga, Harlem. Les deux semaines passées ensemble dans la Venise malienne font d’eux des complices inséparables. Raison pour laquelle Kabirou est resté à Ségou un bout de temps avant de rejoindre Niono.
Au début, sur proposition de ses amis, il s’entraine avec le Biton même s’il n’était pas qualifié pour jouer les matches officiels. C’est pourquoi, il n’a pas joué la finale de la coupe du Mali en 1982 face au Stade malien de Bamako ayant rejoint Niono quelques semaines après. Les dirigeants de l’équipe du Biton, notamment feu Amary N’Daou, font du cas « Kabirou Bah » une priorité pour la nouvelle saison.
A bas le Biton, vive le Stade !
En 1983, l’AS Biton de Ségou reçoit le FC Bassam de Côte d’Ivoire dans le cadre de la coupe UFOA, et le public sportif malien découvre Kabirou Bah, réellement dans ses œuvres. Evoluant comme milieu défensif, il a été le meilleur du match. Pour la circonstance, le journal Podium lui consacra un poster sur lequel on peut lire : « Kabirou, la petite perle de l’AS Biton de Ségou ».
Immédiatement après ces deux matches, il est sélectionné en équipe nationale, pour une mise au vert à la maison des jeunes, en prélude à la coupe Amical Cabral en Mauritanie. A quelques heures du départ des Aigles, Kabirou est exclu du groupe pour des raisons d’humeur. Pourquoi ? L’enfant du Kala de Niono explique : « J’ai été tout le temps photographe. C’est dans ce cadre que j’ai demandé aux dirigeants de l’AS Biton de me payer un mini groupe électrogène qui puisse me dépanner en cas de coupure de courant. Ils ont promis l’appareil, et je pensais faire beaucoup de recettes à l’occasion de la fête de Tabaski. Cela peut paraitre incompréhensible, mais jusque-là, je n’ai pas eu le groupe électrogène. Cela m’a trop déçu, et j’ai tenu à manifester mon mécontentement à l’entraineur Mamadou Diarra dit Libo. Il n’a pas apprécié ma réaction, et a même tenté de m’agresser. Heureusement que Vital Ky et Bréma Gueye se sont interposés entre nous. Voilà ce qui s’est passé avant mon arrivée à Bamako. Mais, je ne sais pas pourquoi et comment l’entraineur de l’équipe nationale a pu être informé de cet incident, pour qu’il me demande de retourner à Ségou afin de présenter mes excuses à Libo ? Et pour répliquer je n’ai pas hésité à dire qu’il m’est difficile de présenter des excuses pour une affaire dans laquelle je ne me reproche rien. Comme je n’ai pas voulu retourner à Ségou pour me repentir, l’entraineur m’a exclu du groupe et m’a interdit tout entrainement avec n’importe club de Bamako. Je suis resté à l’internat avant le retour de l’équipe nationale. Les soirs, je partais sur le terrain de basketball de la maison des jeunes pour maintenir ma forme. Au retour de l’équipe nationale, Libo s’est fait accompagner par Vital Ky et un griot pour me supplier à reprendre les entrainements à Ségou. J’ai été intraitable. C’est-à-dire que j’ai pris la décision de ne plus jouer avec l’AS Biton de Ségou ».
Les Stadistes ont profité de cette incompréhension entre Kabirou et Libo pour entamer des pourparlers de son transfert. Il leur demande un studio et un appareil photo. Les dirigeants du Stade se sont engagés sans pour autant s’exécuter. C’est ainsi que l’enfant du Kala de Niono expliqua le problème à Dioncounda Samabaly. Celui-ci, n’étant pas au parfum des négociations lui remet un appareil photo sophistiqué, et Mafa Haïdara met à sa disposition un local qui servira de studio. Kabirou Bah est installé dans son entreprise, et il peut s’entrainer avec un bon état d’esprit.
Dans la même atmosphère, un supporter lui offre une moto CG 125. Tout est rose. Il est resté au Stade malien jusqu’en 1987, et remporta trois coupes du Mali (1984-1985-1986), un doublé (1984), joué une finale de coupe UFOA face au Bendel Insurance du Nigeria (1984).
L’exil provoqué ?
Il commença à tomber en disgrâce au début de la saison 1986 -1987. L’entraineur Molobaly Sissoko l’a écarté pour l’abonner au banc de touche. Surtout que Kabirou Bah ne s’est pas gêné pour lui dire qu’il joue au football par simple plaisir, sinon son appareil photo le rend indépendant. Quel était son problème avec l’entraineur ? Notre héros donne sa version des faits : « Je ne saurai vous dire exactement ce qui m’opposait au coach Molobaly. Il m’a déclassé et a dit aux dirigeants que je refuse d’être remplaçant. Ceux-ci l’ont rappelé par rapport à ma discipline et ma disponibilité dans l’équipe. En 1987 à la veille du match de la coupe d’Afrique des Vainqueurs de coupe, je suis parti à Nara pour profiter en ma qualité de photographe attitré des mariages collectifs organisés chaque année. A mon retour, je suis allé m’entrainer avec l’équipe masculine de basketball de l’AS Réal. Des dirigeants que je respecte beaucoup m’ont parlé, j’ai repris les entrainements au Stade ».
Kabirou Bah n’avait plus envie de jouer au football. Il préparait un voyage sur la France et entama la procédure d’obtention du visa. A l’ambassade de France où il croise le président du Stade, il le bluffe qu’il va dans l’hexagone pour effectuer des achats d’habits.
Le 14 septembre 1987, au lendemain de la super coupe remportée par le Stade malien face au Sigui de Kayes, Kabirou Bah s’envole pour la France. Sur place, il décroche de façon successive des boulots temporaires, jusqu’à se stabiliser avec un emploi garanti qui lui a permis de bénéficier d’une pension au terme de ses longues années de travail.
Marié et père de 4 enfants, il envisage de retourner au pays. Pour le moment, il règle certains détails avec sa famille.
Pour boucler notre long entretien, l’enfant du Kala de Niono est revenu sur une anecdote. C’était lors des éliminatoires de la Coupe UFOA en 1984, contre les Requins du Bénin. Durant les 90 minutes, Adou Kanté disait à son latéral Fassiry Siama : « kélén fili ! » (traduction : jette un !). Kabirou ne comprenait rien dans ces consignes du stoppeur stadiste. Il s’agissait de petits cailloux que les stadistes devraient éparpiller sur la pelouse jusqu’à la fin du match. C’est à l’internat qu’il a eu l’explication. Pour une victoire du Stade malien, un marabout avait remis ces petits cailloux au sage Adou, avec une posologie. Clandestinement, Adou confia la mission à son cadet, et le suivait à la lettre dans l’exécution. Ah la chimie, quand tu nous tiens ! O. Roger Sissoko
Aujourd’hui-Mali N°163du 13 avril 2019