Que sont-ils devenus : Soumaïla Ouédraogo : Une vie à l’ombre de la télévision nationale

91

La télévision malienne, en plus des journalistes, a démarré avec des techniciens invisibles sur le petit écran. Ils étaient pourtant incontournables pour assurer les premiers pas du nouveau bébé. Les nouveaux téléspectateurs, eux, se contentaient seulement de lire leurs identités à la fin des programmes. Nous avons choisi cette semaine un de ces hommes de l’ombre. Il se nomme Soumaïla Ouédraogo, ancien preneur de sons à Radio-Mali, grand caméraman à l’ORTM, et aujourd’hui administrateur des arts et de la culture occupant le poste de chef de section du secteur privé de la division des recouvrements dans le même service. Nous l’avons rendu visite ce dimanche 24 décembre à son domicile, sis à Kati Tomini kôrô. En complet trois poches, nous le trouvâmes assis sous la véranda en train de faire du thé à côté de sa mère, preuve sans doute d’un amour filial exacerbé par la vieillesse de la génitrice. Mais qu’est-ce qui explique au juste cette assistance rapprochée ? La question peut paraître banale et surprenante, mais logique. Parce qu’il n’est pas facile de supporter au maximum les caprices d’une vieille de 86 ans, sous le coup d’un traitement à vie. Il est cependant important de savoir que sa mère est lucide. Elle se protège avec un masque et prend personnellement ses comprimés selon les conseils de son médecin traitant. Etre aux bons soins de la vieille Mariam Soucko, s’explique aussi selon Ouédraogo par sa souffrance dans le foyer conjugal. Mieux son défunt père lui a instruit de s’occuper de sa mère  parce qu’elle a été une bonne épouse. Une fois cette parenthèse fermée, nous nous intéressons à la carrière de Soumaïla Ouédraogo, pour apprendre que c’est lui qui a enregistré le dernier discours du général Moussa Traoré qui n’a pas été diffusée. Les raisons ? Les bérets rouges se sont emparés des locaux de Radio-Mali, et l’ancien président était mis aux arrêts quelques heures plus tard.  Comment il a été choisi pour ce reportage ? Quelle était l’atmosphère ce jour à Koulouba ? Ses débuts à Radio Mali ? L’histoire de Soumaïla Ouédraogo est riche et pleine de révélations. Nous l’avons rencontré dans le cadre de la rubrique « Que sont-ils  devenus ? »

En plus de son statut de héros de la rubrique « Que sont-ils devenus ? », Soumaïla Ouédraogo est un témoin, pour nous, afin d’aborder les dernières heures du président Moussa Traoré au pouvoir. Au moment de se rendre à Koulouba, il affirme avoir paniqué. L’équipe de reportage, dirigée par Sidiki Konaté, vient de traverser la ville quadrillée par des BRDM de l’armée avec des caisses de grenades partout.

Au niveau du Musée national, elle fait le reste du trajet dans un véhicule banalisé. Au palais, les agents de l’ORTM sont accueillis par leur ministre de tutelle, à l’époque Niamato Diarra, qui s’enquiert des nouvelles de la ville. Et Ouédraogo de répondre clairement que la situation est confuse en bas. Au début, le président Moussa Traoré, accompagné de l’équipe de reportage, voulait rendre visite aux blessés des événements à l’hôpital du Point G.

Mais il est découragé par le directeur de la Sécurité d’Etat à l’époque. Selon Soumaïla Ouédraogo, il avait décidé de démissionner finalement, mais il en a été dissuadé par certains de ses collaborateurs. Alors place au discours qui ne sera pas diffusé, pour les raisons évoquées plus haut. A-t-il remarqué que le président maîtrisait la situation ? « Non, il n’était pas dans ses beaux jours, parce que pour la première fois Moussa Traoré s’est trompé sur mon identité, or il me connaissait parfaitement pour avoir fait plusieurs déplacements à l’extérieur avec  moi ».

Mais personne ne croyait à la fin du régime. La preuve, le ministre de l’Education nationale, Bakary Traoré (paix à son âme) avait décidé de rompre le jeûne chez son homologue de la Communication qui logeait à Kati. Ils sont partis ensemble, mais c’est au moment de retourner chez lui que Bakary sera intercepté par les manifestants qui l’ont lynché à mort.

L’incident

Il serait incompréhensible d’affirmer que Soumaïla Ouédraogo est devenu un caméraman par le plus pur des hasards. Mais c’est plutôt le destin qui a guidé ses pas vers ce métier, dans lequel il dit avoir tout gagné. Regrette-t-il d’avoir choisi le métier de caméraman ? Soumaïla Ouédraogo soutient que si c’était à refaire, il opterait toujours pour la caméra. Car elle lui a procuré du bonheur à travers le tour du monde, la rencontre des grandes personnalités comme Georges Bush à Washington, sa maison, les relations. Qu’en est-il du mauvais souvenir ?

« Lors de la Table ronde des bailleurs de fonds à Genève en 1998, le chef du protocole du Premier ministre IBK nous a fait vivre le calvaire en choisissant d’abord un hôtel de seconde zone, où  nous devrions dormir deux par chambre et sur le même lit, avec deux repas par jour. Je n’ai pas accepté cela parce qu’un caméraman doit avoir une ration complète pour tenir les mouvements. Surtout avec un homme exigeant comme IBK. Au moment de quitter l’hôtel, le chef du protocole a refusé de payer le surplus. C’est Diagouraga, l’ex-DG de la police, qui a réglé la facture. Cela m’a fait mal. Arrivé à Paris, j’ai expliqué au PM, tout ce qui s’est passé, et là il a engueulé son chef de protocole avec des mots discourtois. Une fois à Bamako, le chef du protocole a appelé Sidiki Konaté, pour lui dire que le PM  IBK ne veut plus de moi dans ses missions. Pendant un an, j’ai été sevré de déplacement à l’extérieur. Mais lors de l’inauguration du bloc qui abrite actuellement la radio, j’ai tout fait pour m’approcher du PM, et nous avons échangé. Je lui ai rappelé ses instructions à mon encontre. Il a seulement répondu que je le saurais lors de sa prochaine mission. Une semaine après la correspondance est venue de la Primature avec mon nom, pour le voyage d’IBK au Brésil. C’est ce jour que mon directeur Sidiki Konaté a su la réalité, parce que je lui ai fait la genèse ».

Soumaïla Ouédraogo profitera de ce récit pour parler de ses bons souvenirs : le tour de La Kabba en 1984 et 1986 avec le président Moussa Traoré, sa mission avec IBK à la Convention démocratique à Washington en 1996, son arrêté de reclassement dans la catégorie A.

Pourtant à l’adolescence Soumaïla Ouédraogo n’envisageait pas grande chose pour se faire un chemin dans la société. Son inscription à l’école en 1965 et son échec au CEP lui servirent de pont pour donner une orientation à son avenir et devenir. Comment ? Soumaïla entreprend des cours du soir pour préparer le DEF, jusqu’à ce jour de 1976 où il apprend  sur Radio Mali, un avis  portant recrutement d’animateurs dans le cadre du Projet de vulgarisation agricole.

Le coup de gueule

Lui qui n’a jamais été même un porte-parole entre amis, comment pourrait-il ambitionner ou prétendre parler sur la chaine nationale ? L’homme nous a répondu que son destin a parlé en ces moments. Et de façon spontanée et instantanée, il a constitué ses dossiers.  Admis au test avec Zoumana Yoro Traoré, Seydou Camara, M’Baye Boubacar Traoré, Pathé Sory Maïga, Ouédraogo au terme d’une formation de quelques mois, il est devenu preneur de sons et affecté à l’animation rurale de 1977 à 1982.

Cette période nous rappelle évidemment l’émission matinale du vendredi sur Radio Mali intitulé « Poyi Kan Poyi » qui parlait bien de vulgarisation agricole, avec feus El hadj Bourama  Coulibaly et Zoumana Yoro Traoré. A l’ouverture du Centre de production radiophonique de Kayes, Ouédraogo est affecté dans la Cité des rails. Quitter la capitale, ses parents pour une région qui se débattait pour se développer n’était pas chose aisée pour un jeune fonctionnaire comme lui. Mais il s’embarquera dans le train, ignorant même que sa carrière de caméraman attitré de l’ORTM prendra forme dans cette localité. Et de quelle manière ?

Au cours d’une visite du ministre de l’Information et des Télécommunications, Mme Gakou Fatou Niang, Ouédraogo a exprimé le mécontentement, le désarroi des agents de l’intérieur par rapport à leur exclusion dans les formations de perfectionnement ou de recyclage. Le chef du département a pris bonne note de ses doléances et l’informera illico que la Libye vient d’octroyer la télévision à notre pays. Autrement dit, la nécessité de former des techniciens s’imposait. Et de lui promettre de penser à son cas.

La ministre tiendra promesse. Soumaïla Ouédraogo est appelé à Bamako pour faire partie de l’équipe des dix-neuf techniciens choisis pour ouvrir la télé malienne, après une formation accélérée de trois mois en Libye. Arrivé à Tripoli, il est informé que ses responsables ont décidé de le recycler caméraman. Les séances théoriques et pratiques, soutenues par des prises de vue lors des excusions sur le terrain ont fini par inculquer l’amour du métier dans le cœur de celui dont la nature a forgé le destin pour être un as de cette machine qui immortalise les faits de la vie.

Une dextérité reconnue

Au retour des stagiaires maliens, Ouédraogo est immédiatement opérationnel pour les tout premiers reportages de la télé avec une seule caméra appelée « shèba na den » (la poule et son poussin) parce que le caméraman et le preneur de sons se talonnaient. Alors commença sa longue et riche carrière à Bozola, siège de l’ORTM, marqué par la couverture de grands évènements,  les missions avec tous les chefs d’Etat, de Moussa Traoré à Amadou Toumani Touré, en passant par les Premiers ministres Younoussi Touré et IBK. Il s’imposera comme l’un des meilleurs caméramans de l’ORTM. Ce qui lui a valu de multiples missions  sous la forme de consultation avec les chaînes étrangères qui venaient au Mali pour des reportages. C’est ainsi qu’il a travaillé  avec TV5, des chaînes anglaises et américaines, la RTBF. Pendant que Soumaïla Ouédraogo se réjouissait des retombées de ces missions, ses employés concluaient que ses services coûtaient deux fois moins cher que le déplacement d’un caméraman étranger.

Pour accentuer sa dextérité sur la caméra et évoluer avec la nouvelle technologie, il va participer à  plusieurs formations en France, en Espagne, en Belgique et à Bamako avec des experts français et cela jusqu’en 2011. Date à laquelle, il changera de statut. Pour cette nouvelle page de sa carrière de fonctionnaire, un certain Moussa Ouane s’est battu parce qu’il a écrit à la fonction publique en sa qualité de directeur du Centre national de production cinématographique, pour demander le reclassement de certains agents. Ceux qui ont occupé des postes durant des années, sans avoir la qualification requise. La fonction publique a réservé une suite favorable à cette demande, Soumaïla Ouédraogo est devenu administrateur des arts et de la culture.

Appelé à de nouvelles fonctions, il a troqué la caméra contre l’administration générale au sein de laquelle il occupe le poste de chef de section production de la télé en 2015. Et depuis cinq ans il est le chef de section du secteur privé de la division des recouvrements.

Ouédraogo est marié et père de trois enfants. Dans la vie il aime la culture, le repos dans le champ, l’élevage. Il déteste le mensonge, la malhonnêteté.

 O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désabonner si vous le souhaitez. Accepter Lire la suite