Kadiatou Soucko dite K. S. est l’épouse de feu Aliou Mahamane Traoré, pilote et ancien chef d’état-major adjoint de l’Armée de l’air au temps du Comité militaire de libération nationale (CMLN), la junte militaire au pouvoir et dirigée par feu le général Moussa Traoré. Fidèle parmi les fidèles du lieutenant-colonel Kissima Doukara (alors tout-puissant ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité), le commandant Aliou Mahamane Traoré est arrêté en même que la « Bande des trois » le 28 février 1978. Condamné à 15 ans de travaux forcés, le commandant Aliou Mahamane Traoré passera 10 ans au bagne de Taoudéni et 7 mois au Camp-para de Djicoroni avant d’être libéré. C’est à Ségou, lors des secondes noces de Kissima Doukara, que le couple s’est connu. Persécutée par la Commission d’enrichissement Illicite dirigée par le colonel Joseph Mara, Kadiatou Soucko dit avoir vécu à l’époque des moments très difficiles jusqu’à son service. Elle est contrainte de quitter les cabines des avions pour se contenter d’un poste d’agent commercial. Puisque nous envisageons de réaliser un dossier le 28 février 2021, si Dieu le veut, nous nous intéressons pour l’heure à la K. S. hôtesse de l’air. Elle a beaucoup apprécié l’audio de la plaidoirie de l’avocat Me Demba Diallo lors du procès de son mari qu’on lui a offerte.
Qui est Kadiatou Soucko dite K. S. ? Elle est une veuve, mère de six enfants et habite le quartier de Badalabougou-Séma. A notre arrivée en ces lieux, nous sommes installés dans un grand salon par un de ses fils. L’accueil chaleureux du jeunot et de l’aide-ménagère présageait la bonne atmosphère qui a caractérisé notre entretien avec notre héroïne du jour. Quand elle s’est présentée pour nous souhaiter la bienvenue, nous avons eu la ferme conviction qu’elle a marqué sa jeunesse. Aujourd’hui encore, du haut de ses 74 ans, elle garde toujours sa beauté resplendissante, une touche juvénile avec une chaine en or au cou. Bref, l’outrage des ans n’a pas une ride sur la coquetterie de Kadiatou Soucko. Elle fait partie des premières hôtesses de l’air de la compagnie Air Mali. Une hôtesse de l’air est la femme chargée de l’accueil, du service et de la sécurité des passagers à bord d’un avion. C’est de façon assez banale qu’elle prédit sa carrière dans l’air. C’est en 1962 qu’elle se rend pour la première fois à l’aérodrome de Bamako à Hamdallaye (actuel site de l’ACI-2000) pour accompagner son frère aîné Karounga Kéita dit Kéké en partance pour des études supérieures en France. K. S. est aussitôt séduite par le port altier d’une jeune fille dans sa tenue. Kéké lui dit que c’est une hôtesse de l’air. Aussitôt, elle lui promet qu’elle en sera une. Mais de quelle manière puisqu’elle n’a aucun repère ?, s’interroge son interlocuteur. C’est de façon involontaire que K.S l’a dit. Les choses sont restées ainsi jusqu’en ce jour de 1963 où des administrateurs de la compagnie Air Mali se rendent au Collège de jeunes filles (l’actuel lycée Ba Aminata Diallo) pour recruter des volontaires pour être des hôtesses de l’air. Elle s’enquiert auprès des émissaires si elle irait à Paris en s’engageant ? Oui, répondent-ils. Pourquoi spécifiquement Paris ? K. S. soutient qu’elle n’avait visité que Kita, Koutiala et Bandiagara, donc elle avait la curiosité de découvrir la France. Après avoir donné son accord, son sixième sens lui rappelle qu’un obstacle reste à lever, l’accord de sa tutrice. Orpheline de mère et mise sous tutelle de sa grande sœur, elle doit d’abord avoir son avis. Lequel est d’emblée défavorable. Mais, le coup est déjà parti avec l’accord de principe de K. S., l’affection que lui voue sa sœur contribue à arranger les choses. Kadiatou Soucko s’envole le 29 octobre 1963 pour une formation à Paris. C’est à bord d’un AN-26 qu’elle effectue son premier vol. Tout se passe bien. L’amour du métier associé à la qualité de la formation lui permettent de tenir seule à bord pour s’occuper des passages sur le trajet : Nioro-Nara-Kayes. Quelles sont les qualités d’une bonne hôtesse ? Quelle corrélation entre les membres de l’équipage ? A-t-elle été victime d’un harcèlement dans sa carrière ? Comment elle a géré cet état de fait ? Que pense-t-elle de l’imaginaire populaire qui dit que les hôtesses sont des femmes faciles ? Comment elle a concilié profession, vie privée et foyer ? L’ancienne hôtesse de l’air, dans un langage franc, répond sans détour. K. S., qui en son temps a décliné l’offre de la compagnie Air Afrique par patriotisme est notre héroïne de la semaine, dans le cadre de la rubrique « Que sont-ils devenus ? »
‘amabilité en toute circonstance, la maîtrise de soi, le sourire dans les situations difficiles sont les qualités d’une bonne hôtesse de l’air, selon Kadiatou Soucko. Elle déclare n’avoir jamais eu peur au cours de ses multiples voyages où tout pouvait arriver à tout moment.
Elle ne nous donne pas le temps de chercher à savoir si ce courage était dû la jeunesse, à une conviction religieuse ou à l’amour du métier, elle précise que c’est le fruit de sa bonne formation. Dans notre enfance, on nous disait que l’équipage touche la veille de chaque décollage sa prime de vie, c’est-à-dire qu’il était préparé à la catastrophe aérienne. Qu’en est-il ?
L’ancienne hôtesse de l’air balaie d’un revers de main l’allégation. Cependant, elle reconnait que chaque équipage est assuré, mais n’a pas une quelconque prime de vie au décollage ou à l’atterrissage. Pour corroborer ce propos, elle ajoute que l’équipage forme une famille parce que l’avion, dit-elle, est une aventure.
Quelle difficulté a-t-elle rencontrée ? « Dans la vie, les difficultés ne finissent pas, quoi qu’on fasse. Ma première déception est qu’après mes fiançailles, on est allé dire au général Moussa Traoré que je suis une espionne de la CIA. Pis, que je fournissais des informations à un ressortissant américain résidant à Bamako. Le président, qui est un ami de mon défunt mari, le commandant Aliou Mahamane Traoré, chef d’état-major adjoint de l’Armée de l’air à l’époque, a pris l’affaire au sérieux et interpellé son ami sur le sujet parce qu’il a conclu que je détiens tous les secrets de l’armée. Il l’a même découragé pour le projet de mariage d’une hôtesse de l’air qui aime tous les hommes. Mon mari l’a écouté, mais n’a pas accordé d’importance aux calomnies et aux commentaires de l’entourage. Dieu merci, notre mariage a été célébré », se souvient-elle.
Une hôtesse de l’air est donc une femme facile ? K. S. confirme que dans sa cabine, elle est effectivement le centre du monde pour satisfaire tout le monde avec le même plaisir, mais que cela ne saurait être un alibi pour la harceler ou la qualifier de femme facile. Ce qui lui rafraichi la mémoire sur le cas d’un passager sur Paris-Bamako, qui l’a recherchée pour lui rendre la monnaie de sa prétendue déclaration d’amour lors de ses services. Et K. S. de lui faire comprendre que son comportement dans l’avion n’avait rien de provocateur. Elle était dans son rôle. L’homme est reparti très déçu.
Amour du métier, respect de soi
Tombé sur un époux pilote et compréhensif, elle conciliait harmonieusement profession, vie privée et foyer, surtout que le couple voyageait souvent ensemble. Le mari était censé comprendre sa femme et savoir qu’elle était au service de tout le monde. Bref, K. S. n’a jamais eu de problème, pour avoir fait six maternités, en pleine activité. Chaque fois, après six mois de grossesse, elle arrêtait les voyages et les reprenait quarante-cinq jours après l’accouchement.
La carrière de K. S. est aussi liée aux bons souvenirs pour avoir passé vingt ans de sa vie dans les avions entre la Côte d’Ivoire, la Haute Volta, le Sénégal, la Mauritanie, le Nigeria, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Centrafrique, le Tchad, le Kenya, la Zambie, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, la Gambie, la France, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, les USA, le Mexique, la Grande-Bretagne, Hong Kong, l’Arabie saoudite.
Comme anecdotes, K. S revient sur deux cas. « Lors d’un voyage sur Paris, un Français qui avait des problèmes psychiques (je l’ai su après) m’a fatigué dans l’avion avec des mots d’amour. Il a tellement insisté que le commandant de bord m’a demandé de quitter le service pour rester strictement en cabine. A l’aéroport Charles De Gaulle, il est revenu à la charge. J’étais gênée aux entournures. Il a fallu l’intervention du pilote Fassoko Doumbia pour me libérer.
La deuxième anecdote s’est déroulée également en plein vol en partance pour le Niger. Ce jour, mon mari était le pilote de l’avion. Un passager m’a déclaré son amour, je ne lui ai pas répondu. De façon spectaculaire, il a rejoint mon mari dans la cabine pour lui signifier son intention, et surtout mon indifférence. Celui-ci l’a écouté et l’a assuré de son soutien ».
Kadiatou Soucko est compressée en janvier 1983. Elle entreprend le commerce général, d’abord en envoyant des produits divers à l’extérieur. Ensuite, elle initie une grande alimentation. Malheureusement, ce projet sera un fiasco, engendrant la perte de plusieurs millions de F CFA. Parce qu’il était interdit d’exercer des activités commerciales dans la zone Séma.
En 2001, l’Etat sollicite ses services pour s’occuper des pèlerins dans l’avion. Une fois en Arabie saoudite, elle offrira les mêmes services aux agences de voyage. Une autre expérience qui lui suffira pour créer sa propre agence de voyages en 2009.
Entre K. S., hôtesse de l’air et K. S. passagère, quelle différence et parallèle elle fait ? A l’en croire, l’amer constat est que les temps ont changé.
Autrement dit, les hôtesses d’aujourd’hui ne sont pas à la hauteur, comparativement aux temps anciens.
A 74 ans, le quotidien de Kadiatou Soucko est partagé entre ses petits-fils au nombre de treize, la mosquée et les activités sociales auxquelles elle reste très attachée.
O. Roger
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