L’un des charmes de la rubrique « Que sont-ils devenus ? » réside dans le fait qu’en plus de son aspect regard sur le passé, elle constitue également (au-delà des lecteurs) une source d’apprentissage pour son animateur. Afin d’appuyer cette assertion, il nous paraît utile de préciser que nous ne connaissions pas du tout notre héros du jour, Diomansi Bomboté, éminent journaliste, grand consultant, ancien expert de l’Unesco, actuellement enseignant à l’Ecole de journalisme de Bamako. Quand la direction du journal nous a instruit de le rencontrer dans le cadre de la rubrique « Que sont-ils devenus ? », il fallait glaner ça ou là des informations sur sa personne. Notre aîné Abdoul Majid Thiam, directeur de publication du journal « Le Focus », à l’improviste, nous a retracé les grandes lignes de son parcours. Au même moment, lui aussi, après nos échanges de messages pour caler un rendez-vous, se renseignait sur notre moralité auprès de trois confrères. D’après ses confidences, ceux-ci ont bien parlé de nous. Raison pour laquelle il s’est décidé à nous recevoir ce dimanche 16 février 2020.
Arrivés chez le doyen Diomansi Bomboté aux environs de 9 h 47, nous fûmes royalement accueillis par son aide-ménagère, Mah Diakité. En plus d’un jus d’orange frais, elle nous apporta tout un menu de petit-déjeuner. Nous avions le choix entre un thé Lipton et café au lait. Qu’elle trouve ici, l’expression de notre profonde gratitude. Alors problème ! Nous ne connaissions pas notre héros du jour. Comment faire pour camoufler cette méconnaissance ? C’est pendant cette réflexion qu’un vieux est sorti d’une chambre. Sa façon de nous souhaiter la bienvenue confirma qu’il est le maître des céans. Après les formules d’usage, la première question qui nous brûlait les lèvres était de savoir sur les chapeaux de roue qui est Diomansi Bomboté ? Puisque par le passé notre regretté et brillant confrère Issa Doumbia dit Sacré lui avait consacré deux pages sous un autre angle, nous ferons le minimum d’efforts pour condenser son parcours, tout en retenant ce qui nous paraît essentiel.
Son histoire est tellement passionnante que nous aurions accepté de passer la journée avec lui. C’est un homme simple, sympathique et très ouvert qui nous a reçus. Mieux, il prend la vie du bon côté à telle enseigne que sa mémoire a tendance à gommer tout ce qui est négatif. Pour M. Bomboté, retenir les mauvais souvenirs, c’est cultiver en soi un désir de vindicte et de vengeance. Ce qui, selon lui, constitue un gâchis énorme. Malgré tout ce qu’il a subi dans la vie, il croit fermement que la haine ne peut pas guérir la haine, c’est-à-dire que le dernier mot doit rester à l’amour du prochain. Cette conviction professionnelle et intellectuelle suppose qu’il faut apprendre à être tolérant.
Dans sa narration limpide avec des détails précis, il ressort que l’enfance de Diomansi Bomboté et l’adolescence sont partagés entre son village natal (Logo-Sabouciré), Dakar et Bamako. Né en 1944, c’est après des pérégrinations, pour des raisons diverses, qu’il a bénéficié d’une bourse pour l’Ecole supérieure de journalisme, un département de l’Université de Strasbourg en France en 1968. Pendant son cursus universitaire, il se fera la main comme stagiaire aux journaux Jeune Afrique et la Vie catholique, des références à l’époque.
Sa plume émerveillera Béchir Ben Yahmed, qui ne le lâchera plus d’ailleurs. A son retour au Mali en 1972, il est directement embauché par le quotidien national, L’Essor. Cependant, Diomansi Bomboté n’y restera que six mois, le ministre de l’Information, à l’époque le colonel Youssouf Traoré, va lui proposer de travailler à Radio-Mali. Pour la simple raison que le Comité militaire de libération nationale (CMLN) ne se sentait pas avec ceux qui étaient sur place.
Trois événements ont marqué cette année 1972. Il s’agit de sa rupture avec le journal Jeune Afrique, sa bourde à la radio et son départ pour le Cesti. Il revient sur les deux premiers faits : « Il était convenu que mes articles dans Jeune Afrique seront signés par un nom d’emprunt. Mais le journal a trahi ce pacte en publiant un article défavorable au CMLN avec mon nom. Le matin, je suis sorti pour acheter JA. Ma surprise a été grande quand le vendeur m’a dit que la censure du journal est consécutive à mon article. Je lui ai demandé comment il a su que c’est moi qui ai écrit l’article. C’est là que j’ai compris que Jeune Afrique a commis cette erreur. Du coup, j’ai décidé de rompre avec le journal, et au même moment j’ai alerté mes proches. C’était une façon de les préparer à mon arrestation. Mais contre toute attente, Tiécoro Bagayoko ne m’a pas touché, mais il a ordonné de me surveiller comme du lait sur le feu. Je me suis fait prendre à la suite d’une bourde sur les antennes de Radio-Mali. Au lieu de dire le président, capitaine Moussa Traoré, j’ai plutôt lu capitaine Youssouf Traoré dans un journal de dix-huit minutes. A la fin, c’est le technicien qui a attiré mon attention sur les faits. Malgré la rectification, la faute professionnelle était patente. Immédiatement, la sanction est tombée : blâme avec inscription au dossier. Sur ce, j’ai présenté ma démission au ministre de l’Information. Celui-ci m’a remonté le moral et tout est rentré dans l’ordre entre nous ».
Après ces deux incidents sur demande du gouvernement sénégalais, Diomansi Bomboté s’envolera pour Dakar où il va enseigner au Cesti.
Il y restera huit ans (1972-1980), avant d’être recruté par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) pour servir au Rwanda. En plus du projet de développement de la communication communautaire, il était chargé de mettre en place le système d’information du pays des Mille Collines. Il y laissera une empreinte indélébile par la qualité de son travail, sa rigueur et surtout sa connaissance du journalisme. Ce qui lui a valu une décoration de la part du président d’alors, Juvénal Habyarimana.
Mais, convaincu qu’accepter un tel honneur, alors qu’il était en mission, c’est encourager la corruption de façon déguisée, il a décliné l’offre et plié bagages à la fin de son contrat. Eu égard aux résultats engrangés sur le terrain, le renouvellement du contrat de Diomansi Bomboté en 1982 s’imposait de facto. Mais, pour des questions d’humeur, son contrat n’a pas été renouvelé.
Il se servira alors de son arme fatale, c’est-à-dire la plume pour rebondir. Il n’a étudié que cela et c’est un domaine qu’il maîtrise parfaitement. Il tapera à la porte de son ancien employeur, le journal Jeune Afrique. Le directeur de publication, Béchir Ben Yahmed, n’hésitera pas à recruter un homme dont la plume l’a émerveillé. Concours de circonstances ou ironie du sort, en tout cas il s’est avéré un moment où les réalités imposaient des écrits sur l’Unesco.
La plume, son arme fatale
Les articles de Bomboté vont donc créer un tôlé au sein de l’Unesco. Pour éviter d’être vilipendé dans la presse, surtout par Jeune Afrique, il a été question de limiter les dégâts. L’urgence consistait pour l’institution onusienne à faire retourner Diomansi, lui confier le projet de développement de la presse communautaire rurale en Afrique jusqu’en 2004, date à laquelle il est admis à faire valoir ses droits à la retraite.
A sa retraite, il choisit de rester à Dakar pour monter le projet de création d’un cabinet de communication au Mali. Compte tenu de l’envergure qu’il comptait donner à son bébé, la conception a pris plus de temps que prévu. Sa sollicitation par le président Amadou Toumani Touré pour la création d’une école de journalisme au Mali a également différé la réalisation de son projet. Les événements du 22 mars 2012 ont malheureusement freiné cette initiative des autorités du pays.
Ce projet verra finalement le jour grâce à l’actuel chef d’Etat Ibrahim Boubacar Kéita. Il a instruit au ministre de l’Education nationale de réchauffer le dossier de création de la fameuse école, lequel consulta Diomansi Bomboté.
Notre regretté confrère Issa Doumbia dit Sacré Issa ne s’est pas trompé en titrant que Diomansi Bomboté est le père spirituel de l’école de journalisme au Mali. Et pour cause ! C’est lui qui a monté le projet, l’a défendu à l’Assemblée nationale et aujourd’hui il y dispense des cours parce que son âge ne lui permet pas d’occuper des fonctions administratives.
Son credo ? Faire de cette école un établissement d’excellence, en formant des journalistes qui relèveront le défi dans les différentes rédactions. Cela n’occulte cependant pas son angoisse, c’est-à-dire donner les moyens à ses étudiants afin qu’ils mettent en pratique tout ce qu’ils apprennent en théorie.
Il estime qu’une école de journalisme n’est pas une faculté de droit ou de maths où l’apprentissage ne demande pas autant de moyens que la formation professionnelle dans une école de journalisme. A la question de savoir s’il juge les conditions pas trop meilleures de ses étudiants par rapport à ce qu’il attend d’eux, Diomansi Bomboté est formel : les moyens fournis sont largement insuffisants pour permettre aux étudiants de pratiquer au quotidien le journalisme.
Homme de devoir et de conviction
En 2017, il est nommé comme conseiller à la communication à la Primature par Abdoulaye Idrissa Maïga, chef du gouvernement. Auparavant, deux autres Premiers ministres l’avaient sollicité. Mais pour des raisons de convenances personnelles, il avait décliné leur offre.
Il dit avoir accepté de collaborer avec l’ancien Abdoulaye Idrissa Maïga à cause de sa solide réputation de gros travailleur et d’homme de rigueur. Diomansi soutient avoir cru sentir chez Abdoulaye Idrissa Maïga une grande propension à la probité. Son contact a confirmé ses préjugés tant sur le plan intellectuel, qu’humain et son admiration lui reste acquise.
A son départ de la Primature, Diomansi Bomboté a naturellement rendu sa démission. Et sentant que nous allions rebondir sur cet état de fait, pour savoir les raisons, il s’est précipité de souligner qu’elle était d’ordre d’éthique. « Sinon ce n’était pas pour faire plaisir au sortant ou contrarier le rentrant » qu’il connait et respecte beaucoup.
Marié et père de cinq enfants, pour aborder ses bons souvenirs Diomansi Bomboté nous a invités à la découverte du livre qui a changé le cours de sa vie « Race et Histoires » de Claude Lévi-Strauss, selon lequel « L’homme est le produit de son environnement à travers la nature véritable des choses ».
Au moment de nous séparer, le doyen Diomansi Bomboté a tenu à nous rappeler aussi une citation de Blaise Pascal : « Ne pouvant faire en sorte que la justice soit forte, on fait de sorte souvent que la force soit juste ».
L’homme soutient que tant qu’il aura la force de soulever la plume, il écrira. Pas question pour lui de quitter la presse. De fait, malgré ses 76 ans, il continue de dispenser les cours de techniques professionnelles à l’école de journalisme à la grande satisfaction de ses disciples.
O. Roger Tél : (00223) 63 88 24 23