Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le nouveau Recteur de l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako, Idrissa Soïba Traoré (Maitre de conférences des universités du Mali et des universités africaines) qui a pris fonction en juin 2019, nous explique les conditions de la non-reconduction d’un contrat de location d’immeuble qui servait de classes pour les étudiants. A titre de rappel, l’Université payait à un promoteur immobilier de la place la faramineuse somme de 27 millions Fcfa chaque mois. Une non-reconduction qui parait nécessaire, mais ne semble pas être du goût de ceux qui avaient à boire et à manger des deux mains dans cette affaire de location.
Aujourd’hui Mali : Nous avons appris que vous avez résilié un contrat de location d’un bâtiment dénommé IPM qui servait de cadre pour les cours des étudiants. Qu’est ce qui a motivé cette décision ?
Idrissa Soïba Traoré : Je rectifie votre question, nous n’avons pas résilié le contrat, nous avons plutôt décidé de ne pas renouveler le contrat de location dudit bâtiment car les termes du contrat qui nous liaient à IPM stipulent qu’à chaque fois que le partenaire ne manifeste pas son intention de revoir le contrat, il est tacitement reconduit. Par contre, quand il manifeste son désir de le changer ou de le rompre, il peut le faire, mais en respectant un délai de trois mois à l’avance. C’est ce que nous avons fait en jugeant de ne pas reconduire ce contrat de location.
Mais pourquoi ?
Une très bonne question ! Les premières raisons, elles sont d’ordre financier parce que, figurez-vous, nous payons à l’IPM 27 848 000 Fcfa par mois. Je dis bien par mois, toutes taxes comprises, sans compter d’autres charges complémentaires, à savoir des problèmes au niveau des fosses septiques, des problèmes d’électrification et d’eau. Et si nous faisons le cumul de tout cela, ça peut amener le contrat à 28 millions Fcfa par mois. Ce qu’il ne faut pas oublier, ce qu’on nous donne par mois comme charge locative ne suffit pas pour prendre en charge ce montant car ce montant est très minime. Nous étions donc obligés, chaque année, de prendre des montants sur d’autres rubriques du budget pour faire face à cette charge locative. Ce travail se faisait pendant des années, depuis 2013.
Il faut reconnaitre que cette université avait aussi un effectif pléthorique pour peu de classes. Mais aujourd’hui, dépenser un tel montant dans une charge locative ne se justifie pas. Ce n’est pas tout. A la fin du mois d’avril 2020, nous serons à 10 mois d’impayés, ce qui représente une somme de plus 278 millions de Fcfa qu’on doit au locataire. Donc ça ne peut pas aller de la sorte. Maintenant, il faut chercher les fonds pour payer tout ça. Mais où ? Sur quel domaine, dans quelle rubrique ?
La seconde raison du non renouvellement de ce contrat porte sur les raisons pédagogiques car, aujourd’hui, l’effectif va decrescendo d’année en année. Par exemple en philo, pour la rentrée 2018-2019, ils étaient 292 étudiants en première année et en 2019-2020, nous avions accueilli 119 étudiants.
En psychologie, on avait 127 étudiants en 2018-2019 et en 2019-2020 nous avions eu une cinquantaine d’étudiants. En sciences de l’éducation, de 2018-2019, on avait 1124 étudiants et cette année nous avions reçu 451 étudiants…
Donc si vous analysez ces chiffres-là, les effectifs vont decrescendo. Idem aussi pour l’autre faculté, dans les départements Russe, Allemand, Lettres…Juste vous dire que nous connaissons maintenant une baisse vertigineuse du nombre d’étudiants, toute chose qui explique que nous avons besoin de peu d’infrastructure.
Pour être clair, cette charge locative reste de loin très élevée par rapport au montant donné par l’Etat donc il n’y avait pas d’autres solutions que de quitter et de trouver un endroit pour mettre les apprenants. Nous avions appelé le promoteur de l’immeuble pour lui signifier, au mois de juin, que nous n’avons plus les moyens de payer et nous l’avons fait aussi par voie d’huissier.
Quelles autres alternatives avez-vous trouvé pour les étudiants ?
Nous avons eu des salles à la Chaine grise, à savoir 18 salles de classe et deux amphis et 4 grandes salles et nous avons loué aussi un bâtiment à Kalaban-Coro Koulouba qui compte 8 salles. Ces bâtiments nous reviennent à moins de 5 millions de Fcfa par mois et font notre affaire si on y ajoute 18 salles de classes qui se trouvent ici à Kabala, notamment 10 salles au niveau de la Faculté des sciences humaines et plus les 8 salles affectées au Master et qui n’ont jamais été utilisées. Au niveau de l’institut Conficius sur la colline, nous avons aussi trois salles là-bas.
Mais plus précisément, combien d’étudiants étaient affectés à l’immeuble Ipm ?
Je ne saurai le dire parce que c’était un système de rotation, mais à l’Ipm, il y avait 33 salles. Ce qu’il faut retenir, aujourd’hui apprendre dans une université ne veut pas dire forcément rester entre les 4 murs.
Les TICs sont là pour la relève. Il faut aussi retenir que des études effectuées au niveau de l’Université de Bamako ont prouvé que les salles ne sont pas utilisées de façon optimale.
Est-ce qu’avant de prendre cette décision de quitter l’Ipm vous avez informé tous les acteurs, je voudrais parler des étudiants et des professeurs ?
J’avoue sincèrement qu’avant de prendre cette mesure de quitter l’Ipm, j’ai consulté les acteurs, les parties prenantes. Le 22 janvier, j’ai rencontré les différents chefs de structure qui sont au nombre de quatre. Le Doyen de la Faculté des Lettres, des langues et des sciences de langage, le Doyen de la Faculté des sciences humaines et de l’éducation, le directeur de l’Institut Conficius et le directeur de l’Institut universitaire de technologie. Nous avons fait ce jour une réunion de trois heures, je les ai informés tout en faisant sortir les chiffres de cette location. Eux-mêmes ne connaissaient pas le montant de la charge locative.
C’est pourquoi, ils étaient ébahis lorsqu’ils ont pris connaissance de la situation. Et ils nous ont encouragés à chercher d’autres alternatives afin que nous quittions l’Ipm. Après cette rencontre, nous avons organisé une autre rencontre avec les mêmes chefs de structures et de départements sur la question. Nous avons aussi informé les deux syndicats des étudiants. Il s’agit du syndicat de la Faculté des lettres, des sciences de langage et celui des Sciences humaines et de l’Education qui ont promis aussi d’informer leurs camarades du départ. Si ce n’était pas le problème de coronavirus, on avait décidé d’organiser une tribune rectorale pour inviter tous les enseignants afin de les informer. Mais j’avoue que les chefs de département ont déjà informé les enseignants au cours des réunions.
Quant aux étudiants, pour être précis, nous avons rencontré à la date du 26 février les deux comités Aeem pour les informer de la situation financière de l’Ipm. Lorsque nous avons avancé les chiffres de location, eux aussi étaient surpris. En ce qui concerne les étudiants, on ne leur demande pas s’ils sont d’accord ou pas car c’est une question d’infrastructures et de ressources financières. Ils ont aussi affirmé lors de cette rencontre que la charge locative de l’Ipm était très élevée et de trouver une autre alternative et qu’ils sont prêts à aller là-bas et qu’ils vont informer et sensibiliser leurs camarades à cet effet.
Par contre, il nous revient que certains étudiants soutiennent qu’ils ne veulent pas quitter les locaux de l’Ipm ?
Je vous rappelle que nous avons rencontré les étudiants le 26 février. C’est plus d’un mois après que l’un des secrétaires généraux du nom de Koné est passé dans mon bureau en disant qu’il est venu me voir par rapport « au problème de l’Ipm ». J’étais étonné parce que, pour moi, il n’y a pas de problème Ipm dans la mesure où tous étaient d’accord de quitter les lieux. Et j’ai été clair avec lui en lui disant que nous allons quitter parce que nous ne pouvons pas payer et cette année, nous sommes à moins de 60% de l’effectif de l’année dernière. Il est parti et après j’ai vu une vidéo d’un étudiant qui se présente comme le secrétaire à l’Information du comité Aeem dirigé par Koné et soutient qu’ils ne seraient pas prêts à quitter Ipm et je ne sais pas pourquoi.
Est-ce que vous pouvez donner des assurances que les étudiants seront dans les meilleures conditions de travail dans ces nouveaux locaux, mieux qu’à l’Ipm ?
Evidement ! Mais ce que vous ne savez pas, l’Ipm n’est pas un lieu paradisiaque. Les étudiants ont protesté quand j’étais vice-Recteur qu’ils voulaient quitter du fait que c’est un endroit insalubre et difficile d’accès pendant l’hivernage. Idem pour les enseignants aussi qui ont observé des mouvements de grève, plus de quatre fois.
En tout cas, notre combat c’est de mettre les étudiants dans les meilleures conditions de travail pour qu’ils puissent bien étudier. Je vais vous révéler que dans notre budget d’investissement, il est prévu à partir de cette année et l’année prochaine un fonds qui va nous permettre de construire 12 salles de classes de 100 places chacune. Nous allons nous battre pour que les gens soient dans les conditions optimales et les choses vont s’améliorer petit à petit.
Avez-vous un appel à lancer à l’endroit de la communauté universitaire ?
L’appel que je lance à l’endroit de la communauté universitaire, c’est de savoir raison gardée. Il y a souvent des propos calomniés, des manipulations qu’on doit analyser. Il faut être clair, nous avons 10 mois d’arriérés, nous ne pouvons pas continuer à rester car cet état de fait sera préjudiciable pour nous. La preuve est que nous avons toujours pris des fonds sur des chapitres didactiques pour payer les charges locatives. Vous savez, en matière d’analyse budgétaire, c’est de l’indiscipline budgétaire car on vous donne une rubrique que vous n’utilisez à bon escient comme si vous n’en aviez pas besoin tandis que l’Université aujourd’hui est en déficit d’ouvrages de documentation. Ce fonds qui va dans les charges locatives peut servir à acheter des livres. Nous avons fait des efforts car 18 publications ont été faites par des nos enseignants et nous avons acheté six exemplaires de chaque ouvrage pour la bibliothèque, une manière d’encourager et valoriser leur travail.
Aujourd’hui, les heures supplémentaires du premier et du deuxième semestre de l’année dernière de la Faculté des lettres et des sciences du langage ne sont pas toujours payées. Ces enseignants peuvent, à cause des impayés, arrêter les cours à tout moment tandis que nous continuions à payer cette charge locative qui nous coûte cher et qui nous amène même à puiser dans d’autres chapitres. La gouvernance universitaire impose aujourd’hui qu’on rationnalise les ressources humaines et financières mises à notre disposition. Et notre démarche s’appuie sur une certaine scientificité et la concertation de tous les acteurs qui ont été informés, associés au processus. Il faut que je vous rappelle aussi que quand j’ai pris les rênes de cette université en juin dernier, j’ai trouvé, dans les documents de 2017, que le Conseil de l’université avait décidé que notre université doit mener toutes les actions pour sortir de la location. Telle est aujourd’hui ma vision et la vision de l’ensemble des acteurs de l’Université des lettres et des sciences humaines. C’est cette vision que je suis en train d’appliquer et je pense qu’ensemble nous allons relever ce défi.
Réalisé par Kassoum THERA