Créée en 2018, la startup malienne « Mali Solar Initiative » propose un système décentralisé de fourniture d’électricité. Sa co-fondatrice, Assitan Fofana, diplômée en Electrotechnique de l’Institut des sciences appliquées de Bamako (Isab), nous a accordé une interview exclusive, dans laquelle elle nous précise la particularité de son entreprise et les difficultés rencontrées lors de sa mise en œuvre, avant de lancer un message à l’endroit des jeunes filles qui veulent lancer leur propre startup.
Aujourd’hui-Mali : Parlez-nous de la startup « Mali Solar Initiative »
Assitan Fofana : Mali Solar Initiative est une jeune startup malienne en phase d’implantation. Elle est incubée par Bamako Incubateur. La start-up, à travers son premier projet, Un toit, un champ PV, se propose de contribuer à répondre aux paradoxes maliens face à l’énergie solaire. Elle a pour objectif de faciliter l’accès des populations pauvres aux services énergétiques modernes, abordables et durables afin de développer et améliorer les activités économiques et les conditions de vie des communautés vivant dans les zones non raccordées au réseau électrique. Son activité consiste à se doter de panneaux solaires auprès de producteurs à moindre coût et d’offrir des services abordables aux communautés vulnérables face au changement climatique. Ses services sont, entre autres : l’évaluation des besoins énergétiques des clients ; le dimensionnement des installations solaires ; l’installation des équipements solaires ; le Service Après-vente et l’entretien du dispositif, des équipements de production d’énergie solaire. Par ailleurs, la start-up cherche à développer des kiosques solaires communautaires. Ces kiosques permettront aux communautés de bénéficier des services suivants : la vente et l’installation des kits solaires, le prépaiement à l’usage, le service après-vente, le service Mobile Money et même un accès à l’internet. Notre sens de l’initiative permettra localement aux kiosques de devenir de véritables centres de vie locale et des structures de développement socioéconomiques pérennes. En plus, nous proposons des formations d’experts et d’ingénieurs locaux.
Qu’est-ce qui vous à motiver à lancer cette startup ?
Au Mali, l’électrification est un défi majeur, surtout en milieu rural où le taux d’accès n’excède pas 18%. Ce manque d’accès à l’électricité est un frein au développement et enferme des millions de personnes dans la pauvreté. Cette absence d’énergie a également des conséquences dramatiques sur l’éducation des enfants parce que sans électricité, il est impossible de s’informer ou d’étudier dans de bonnes conditions. D’ailleurs, en cette période de crise sanitaire, les élèves des zones non électrifiées ne peuvent pas suivre les cours à distance sur les chaines de télévision nationales, faute de source d’électricité. De plus, le Mali est un des pays les plus exposés au changement climatique dont les conséquences sont la sécheresse, la migration, l’exode etc. A cela s’ajoute la dépendance aux énergies fossiles au détriment de la santé, de l’éducation et de l’alimentation qui sont les besoins de base. Et paradoxalement, le Mali dispose d’une ressource inépuisable qui est le soleil et qui, jusque-là, reste encore très peu exploitée. Cette énergie renouvelable représente une solution pour lutter contre l’extrême pauvreté, favoriser un meilleur accès à l’électricité et lutter contre le changement climatique. Nous avons créé Mali Solar Initiative pour répondre à ces paradoxes. Nous voulons apporter une source d’énergie propre, durable et économique aux ménages vulnérables pour satisfaire leur besoin en énergie.
Quelle est la particularité de Mali Solar Initiative ?
Plusieurs acteurs structurent ce secteur avec des notoriétés diverses. Notre avantage réside dans notre impact social et environnemental. Nous avons une approche propauvre et communautaire d’accès équitable de tous les Maliens à l’énergie solaire. Aussi, nous avons une relation de proximité avec les clients qui consiste à accompagner les femmes dans l’usage productif de l’énergie et les jeunes au niveau du centre de service énergétique ou kiosque solaire. Nos kiosques solaires deviendront de véritables centres de vie locale et des structures de développement socioéconomiques pérennes. Nous organiserons autour de ces kiosques des campagnes de sensibilisation, d’information sur les avantages du solaire et la gestion de l’environnement. Cela devra impacter sur le développement durable de ces localités. Fondée par des jeunes maliens récemment diplômés, Mali Solar Initiative a une autre particularité, celle d’être gérée par une jeune femme.
De son lancement à nos jours, votre startup a-t-elle rencontré du succès ?
Mali Solar Initiative a été lauréate et a représenté le Mali lors de différents fora. En mars 2019, nous avons été la lauréate du concours « Ville durable et intelligente » organisé par l’incubateur de Paris, Paris&Co. Ensuite, en juin 2019, nous avons été la lauréate du programme de résidence entrepreneurial Afrique-Bordeaux, organisé par la Mairie de Bordeaux (France) et la Fondation Prospective et Innovation. Nous avons également remporté le 2ème prix du concours de plan d’affaires organisé par le Ministère de l’Investissement privé, des PME et de l’entrepreneuriat du Mali lors du Salon de l’entrepreneuriat et des PME (Salep 2019). Enfin, nous avons été finalistes de la compétition des African Rethinks Awards (ARA), organisé par le Land of African Business à Abidjan, en octobre 2019.
Avez-vous rencontré des difficultés dans la mise en œuvre de Mali Solar Initiative ? Si oui, lesquelles ?
Bien sûr que oui ! Le chemin de l’entreprenariat est un parcours aux multiples obstacles. Etant des jeunes récemment diplômés, notre expérience entrepreneuriale se limite à un nombre assez important de formations reçues dans ce domaine. A cela, s’ajoute le faible pouvoir d’achat des clients et le défaut d’épargne, l’absence de culture d’investissement et la non sensibilité des cibles aux énergies renouvelables. Aussi, comme la plupart des startups maliennes, nous avons aujourd’hui besoin de financement pour acheter plus de matériels, recruter et être présent dans plusieurs localités du pays.
Pensez-vous que l’énergie solaire peut-être un moyen pour le développement du pays ?
Le Mali possède un vaste potentiel en énergies renouvelables qui n’est exploité qu’en partie. La technologie d’énergie solaire est particulièrement avantageuse du fait des niveaux exceptionnels d’ensoleillement, surtout dans le nord du pays. En effet, le Mali est situé dans une des régions du monde à fort potentiel en énergie solaire. Le rayonnement solaire moyen, convenablement réparti sur le territoire national, est estimé à 5-7 kWh/ m2/jour, avec une durée d’ensoleillement quotidien de 7 à 10 heures. La technologie solaire convient particulièrement pour l’alimentation en électricité des populations des zones reculées et isolées.
A travers « le projet Un toit, un champ PV, » nous voulons participer durablement au développement énergétique du Mali, tout en luttant contre la pénurie énergétique. Bien évidemment, Mali Solar Initiative ne va pas tout résoudre à elle seule, nous souhaitons juste apporter notre contribution en offrant les produits du quotidien fonctionnant au solaire, permettant d’éclairer, de faciliter l’accès à l’information et de recharger des appareils éventuellement. La startup entend révolutionner l’électrification rurale via le solaire dans la région subsaharienne en fournissant un modèle intégré qui prévoit la fourniture des kits solaires, le soutien après-vente et la formation des experts et d’ingénieurs locaux, accompagné du financement sous forme de crédit-bail. Notre projet « Un toit, un champ PV » s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’ODD7, qui est de garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. Au-delà de son impact positif sur la résorption du déficit énergétique, il permet aussi de consolider des emplois verts directs et indirects, ce qui contribue de façon significative à la lutte contre le chômage.
Comment envisagez-vous le développement de l’économie numérique au Mali dans les prochaines années ?
L’économie numérique malienne a un bel avenir devant elle ! En effet, le Mali connait une évolution dans le secteur du numérique ces dernières années, grâce à la digitalisation de plusieurs secteurs d’activité. De nombreuses innovations ont vu le jour dans la santé, le commerce, l’énergie, l’agriculture etc. D’après Mme Kamissa Camara, ministre de l’Economie numérique et de la Prospective : « Au Mali, le virage digital est au cœur de nos projections pour les années à venir ». Ce qui est un moyen efficace de stabiliser et solidifier une meilleure croissance de l’économie malienne dans les prochaines années. Avez-vous un message à transmettre aux jeunes entrepreneures maliennes qui hésitent peut-être encore à lancer leur propre startup ? A toutes celles qui hésitent encore à faire le grand saut, je leur dirai tout simplement d’oser car l’audace a du génie, du pouvoir et de la magie. Il est important que, nous les femmes, nous soyons maîtresses de notre avenir et trouvons les moyens d’aller vers le succès. Alors, sortons de notre zone de confort et poursuivons nos rêves car je crois bien que le progrès est à ce prix.
Votre mot de la fin ?
Tout d’abord, je tiens à remercier Bamako Incubateur pour son accompagnement, nos partenaires et toutes les personnes qui nous soutiennent depuis le début de l’aventure. C’est aussi l’occasion pour moi d’inviter mes jeunes frères et sœurs à se lancer dans l’entreprenariat car c’est un facteur essentiel pour le développement de toute Nation. Il crée des opportunités économiques et contribue de façon significative à la lutte contre le chômage. Enfin, je voudrai inviter mes concitoyens à redoubler de vigilance et de prudence car la maladie à coronavirus (Covid-19) est une réalité. Il est donc plus qu’indispensable d’intégrer dans nos habitudes quotidiennes les mesures barrières contre cette maladie. Que Dieu nous protège.
Réalisée par Mahamadou Traoré