Enseignant et chercheur à la Faculté de Droit public de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Usjpb) et Juriste conseil d’entreprise, Paul Ivan Biligha est également le cofondateur de la plateforme « Droit Direct ». Il nous a accordé une interview exclusive dans laquelle il fait état de sa plateforme, en précisant notamment comment elle fonctionne, sa particularité et donne aussi son avis sur le développement de l’économie numérique au Mali dans les prochaines années.
Aujourd’hui-Mali: Parlez-nous de la plateforme Droit Direct ?
Paul Ivan Biligha : Droit Direct est une plateforme technologique et intégrée de services juridiques. En tant que plateforme technologique, Droit Direct est composée d’un Centre d’appel téléphonique, d’une application mobile et d’une application web en interconnexion avec des pages et comptes sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, Facebook et Whatsapp. Chaque composante de la plateforme technologique constitue un moyen de communication et surtout, vise un public bien ciblé. Ainsi, le Centre d’appel téléphonique qui est opérationnel 24h/24, 7j/7 offre ses services d’information juridique et administrative en langues locales telles que le Bambara, le Soninké, le Peulh, le Dogon, le Tamasheq, le Sonhraï, en plus du français et de l’anglais. Il s’adresse au citoyen malien lambda capable de se servir d’un téléphone ordinaire ou qui pourrait se faire aider. L’application mobile s’adresse en priorité aux utilisateurs de Smartphones et de tablettes adeptes de l’Internet mobile et des data. L’application mobile est une version miniature de l’application web qui est destinée aux internautes qui veulent profiter, en ligne, de tous les services juridiques qu’offre la plateforme. Les réseaux sociaux fonctionnent comme des relais d’informations en direction du grand public sur la toile. Plateforme intégrée de services juridiques, Droit Direct l’est aussi car elle propose une gamme complète de services juridiques allant de la simple information à l’assistance juridique, en passant par le conseil juridique, la rédaction des documents administratifs et juridiques, sans oublier la formation et la recherche en droit et économie numérique ainsi que la traduction juridique.
Qu’est-ce qui a motivé le lancement la plateforme « Droit Direct » ?
Nous sommes partis d’un double constat en nous appuyant sur des études récentes menées dans le secteur de la Justice au Mali et de l’observation de la pratique. Ceci nous a permis, tout d’abord, de relever le nombre, croissant d’année en année, de litiges portés devant les juridictions de l’Etat et restés sans solution définitive pour les parties en procès abandonnées, pour ainsi dire, au sentiment-et parfois au ressentiment- d’injustice.
Ensuite, nous avons observé le recours massif, presque compulsif, à la justice traditionnelle ou familiale et, de plus en plus, avec la vie urbaine individualiste par définition, à la justice privée caractérisée par des règlements de comptes à la façon des gangs mafieux. Tout ceci au préjudice, bien sûr, des couches les plus vulnérables de la société que sont les femmes, les jeunes, les démunis, les moins instruits, les handicapés de toutes sortes, les ruraux, les migrants et les expatriés peu avertis du fonctionnement » rée » de la Justice au Mali et toujours pris au dépourvu quand leurs droits, les plus élémentaires parfois, sont violés.
Au-delà des chiffres, c’est le rejet manifeste par la population, de la Justice formelle qui est en cause dans une République démocratique et laïque comme le Mali, où le droit posé par l’Etat est censé refléter les aspirations de la grande majorité des citoyens et devrait donc naturellement avoir la primauté pour réguler les rapports sociaux et trancher toutes les contestations qui pourraient s’élever dans la vie quotidienne. Et lorsque, dans une société, la justice n’est plus assurée aux citoyens ou ce qui revient à dire la même chose, lorsque la justice est confiée par la force des circonstances, à des entités qui ne peuvent pas toujours en garantir l’objectivité et l’efficacité, ce sont la paix et la cohésion sociales, fondements de toute nation prospère, qui en font les frais.
Comment garantir un égal accès au droit et à la justice entre tous les citoyens maliens afin de rétablir, cette confiance que chaque citoyen doit avoir dans les institutions de son pays et notamment dans les institutions judiciaires comme dernier rempart contre l’insécurité, l’impunité et l’injustice, dans un contexte où le nombre des avocats et autres professionnels du droit toutes catégories confondues est insuffisant, les lenteurs et les coûts de la Justice encore trop importants sont de nature à décourager des personnes qui de surcroît ignorent dans leur grande majorité la loi et les mécanismes d’accès à la Justice ? La plateforme est la solution que nous avons conçue et mise à la disposition des citoyens et justiciables maliens pour leur faciliter l’accès au droit et à la Justice, sans entrave quelconque.
Comment la plateforme « Droit Direct » fonctionne-t-elle ?
Les utilisateurs et les justiciables accèdent à la plateforme Droit Direct et aux services qu’elle propose soit par appel téléphonique, soit par message (sms), soit par l’application mobile en téléchargement sur Playstore et AppleStore, soit par les réseaux sociaux soit enfin, par l’application web. Une fois l’utilisateur connecté à la plateforme Droit Direct par l’un de ces quatre canaux, il est automatiquement accueilli et orienté par un téléconseiller juridique qui l’écoute et l’oriente en fonction de sa langue et des difficultés qu’il expose.
Le téléconseiller juridique peut, en fonction de la demande de l’utilisateur ou de la nécessité, lui fournir l’information ou le document juridique ou administratif nécessaire, soit l’aider à rédiger lui-même son document (contrat, plainte, procès-verbal, Statuts, Rapport etc.) directement sur la plateforme web sous le contrôle d’un avocat ou tout autre professionnel du droit (Huissier de justice, Notaire, Expert-comptable, Conseil fiscal, Géomètre-expert, Expert technique agréé).
Lorsque la situation particulière de l’utilisateur nécessite un suivi personnalisé et approfondi, la plateforme Droit direct lui propose les conseils ainsi que l’assistance d’un avocat ou de tout autre professionnel du droit. Il faut préciser que la plateforme Droit Direct a été conçue dans le strict respect des lois et règlements en vigueur, mais aussi, conformément aux normes nationales et internationales de services juridiques en ligne pour garantir à ses utilisateurs confidentialité, traçabilité, sécurité, proximité et disponibilité 24h/24, 7j/7.
Parlez-nous de la particularité de « Droit Direct » ?
Au plan des fonctionnalités, la plateforme Droit Direct est une Legaltech, différente en cela des simples sites web qui servent de vitrines ou de portails d’accès à certaines informations et documents, mais aussi des cabinets juridiques classiques. Par opposition aux sites web vitrines et de téléchargement, en plus de fournir des documents et des informations juridiques et administratives en libre accès, la plateforme Droit Direct offre plus de services, notamment le conseil et l’assistance en mettant l’humain au cœur du service juridique en ligne. Ce qui permet de prendre en considération la particularité de chaque cas qu’un utilisateur soumet. Derrière la technologie, il y a une véritable relation humaine qui se noue entre l’utilisateur et le téléconseiller, puis le professionnel du droit. Ce qui renforce la confiance de l’utilisateur qui vit avant et après tout dans un monde d’hommes avec lesquels il doit collaborer en définitive.
Par rapport aux cabinets juridiques classiques, la plateforme Droit Direct offre un accès à distance aux services juridiques rapprochant ainsi le justiciable du professionnel du droit grâce aux avancées de la technologie là où la distance et certaines contraintes sociales ne leur permettent pas toujours de se rencontrer. Par contre, il faut bien le souligner, la plateforme Droit Direct ne s’inscrit pas dans une logique de concurrence avec les professionnels du droit, mais plutôt dans une logique de complémentarité. La plateforme Droit Direct est celle où le justiciable et l’usager des services publics d’un côté et le professionnel du droit et l’Administration publique en charge du service public d’autre part, jadis éloignés les uns des autres, peuvent désormais dialoguer sans tabou ni complexe. La mise à disposition automatique des modèles de documents et actes juridiques directement modifiables et imprimables en ligne sous la supervision d’un avocat, permet aux utilisateurs de la plateforme Droit Direct de gagner en temps et en énergie. Ce que la plupart des plateformes de services juridiques en ligne n’offrent pas à leurs utilisateurs.
Il faut également relever que la plateforme Droit Direct est accessible et disponible 24h/24, 7j/7. À tout moment et quelque que soit la difficulté rencontrée, l’utilisateur bénéficie de l’assistance des téléconseillers juridiques, des avocats et autres professionnels du droit qui assurent la permanence de nuit. Les coûts abordables et la qualité des services juridiques appuyés par le service de suivi personnalisé de chaque utilisateur que propose la plateforme Droit Direct rendent ses services pratiques pour tout type d’utilisateur. Enfin, contrairement à d’autres Legaltech qui n’offrent qu’un ou deux types de services particuliers en ligne, la plateforme Droit Direct propose la quasi-totalité des services juridiques qu’on peut fournir en ligne grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il n’est donc pas nécessaire d’aller voir ailleurs. L’utilisateur dispose de tous les services juridiques automatisés et de toutes les commodités qu’offre une infrastructure de service en ligne. Même les professionnels du droit y trouvent leur compte.
De son lancement à nos jours, la plateforme a-t-elle connu le succès attendu ?
La plateforme Droit Direct représente une innovation qui ne pouvait passer inaperçue ni en Afrique ni au Mali. En effet, malgré plusieurs initiatives louables mais orientées vers un service spécifique appuyé sur un média spécifique, la plateforme Droit Direct est la première Legaltech mise en place au Mali qui offre la quasi-totalité des services juridiques en ligne accessible à tous par les principaux moyens de communication à distance. Ce qui justifie l’engouement de nombreux utilisateurs qui exploitent quotidiennement tous les canaux de connexion à notre plateforme pour bénéficier de nos services juridiques en ligne et sont largement satisfaits par le gain de temps, le faible coût des prestations de services par des professionnels agréés du droit et surtout par la qualité de service rendu. Dans la foulée, l’expertise des promoteurs de la plateforme Droit Direct est sollicitée par de nombreux partenaires institutionnels, les partenaires techniques et financiers, les organisations de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les étudiants, les chercheurs, les personnes vulnérables, les opérateurs économiques, les Startups, les investisseurs étrangers pour des projets spécifiques d’accès au droit et à la justice. Naturellement, Droit Direct, en tant qu’expérience humaine, doit s’améliorer chaque jour un peu plus pour mériter la confiance des utilisateurs et explorer de nouveaux champs d’intervention comme la vulgarisation du téléconseil à l’heure de la distanciation sociale rendue nécessaire pour réduire la Covid-19.
Comment entrevoyez-vous le développement du numérique au Mali ?
Le Mali est l’un des pays pionniers du numérique en Afrique subsaharienne. En effet, le Mali longtemps avant de nombreux autres Etats africains, s’est doté d’une politique nationale et d’un dispositif juridique et institutionnel régulièrement mis à jour pour servir de soubassement au développement de l’économie et de la culture numériques au sein de la population et auprès des jeunes.
Ce mouvement en progression a d’ailleurs connu un coup d’accélérateur avec la création de tout un département ministériel consacré à l’économie numérique et de nombreuses agences pour l’appuyer dans la définition et la mise en œuvre de la politique nationale du numérique. La société civile malienne et les jeunes en particulier ont également su emboiter le pas aux pouvoirs publics, en témoigne le foisonnement des incubateurs de Startups dans les quatre coins du pays, l’organisation des prix et concours pour encourager les jeunes à s’intéresser au numérique qui représente l’avenir pour reprendre une expression favorite de l’actuelle ministre de l’Economie numérique, Madame Kamissa Camara.
En témoigne aussi la création de l’Association Mali Startup pour regrouper toutes les Startups et fédérer leurs énergies pour accompagner les pouvoirs publics. Les différents partages d’expérience qui se sont multipliés pour barrer la voie à la Covid-19 autour des différents départements ministériels le montrent à suffisance. Tout comme le projet de labellisation des incubateurs en cours sous la supervision du Ministère de la Promotion des investissements privés, des petites et moyennes entreprisse pour promouvoir un cadre propice d’incubation des Startups au Mali afin de garantir leur compétitivité et leur contribution effective et significative dans le positionnement du Mali sur l’échiquier politique et économique de la mondialisation qui a pris un tournant décisif avec l’émergence du numérique.
Avez-vous un message à l’endroit des jeunes qui veulent se lancer leur propre Startup ?
Chez Droit Direct, nous essayons au quotidien de promouvoir l’entreprenariat jeune en encourageant tous les porteurs de projets d’entreprise à ne pas se décourager face aux difficultés d’entreprendre, mais de mettre à profit toutes les ressources dont ils disposent et dont la volonté, la persévérance et l’ingéniosité sont les plus précieuses pour réussir dans l’entreprenariat. Nous leur offrons des conseils et de l’assistance juridique, administrative et fiscale, pour structurer leurs différents projets et les porter à maturation car nous croyons en la jeunesse qui ose. En constante innovation, la Startup Droit Direct bénéficie aussi d’un retour d’expérience de ces multiples jeunes entrepreneurs qui seront sans doute ses partenaires de demain.
Votre mot de la fin ?
Nous invitons tous les usagers et les justiciables, à suivre l’exemple de ceux qui ont sollicitent quotidiennement nos services pour en savoir plus sur leurs droits en tant que citoyens car l’injustice et la corruption se nourrissent aussi de l’ignorance des victimes. Et ensemble, arrêtons l’injustice avant que l’injustice n’arrête tout.
Réalisé par Mahamadou TRAORE