Notre héros de la semaine pour l’animation de la rubrique « Que sont-ils devenus ? » est un ancien steward de la compagnie Air Mali. Il s’appelle Sékou Danioko. Il s’est retrouvé par le plus pur des hasards dans l’avion pour s’occuper de l’accueil, du service et de la sécurité des passagers. Il a survécu à trois catastrophes aériennes. Comment il est devenu steward ? Ses explications sur les différents accidents d’avion ? L’enfant de Tintiba, dans la région de Kayes se rappelle de tout au détail.
Le steward et l’hôtesse de l’air, par leurs prestations et prestance, vendent le deuxième billet au passager parce qu’ils peuvent le convaincre à revenir. Ceux du Mali avaient l’obligation morale de bien traiter les clients. Pour la simple raison que les avions de la compagnie Air Mali étaient de fabrication russe, moins confortables et avec trop de bruit, comparés aux avions occidentaux.
Malgré tout, le Malien était patriote et n’affrétait que les avions du pays. Cela n’était pas du goût des grandes compagnies. Elles ont usé de tous les subterfuges pour l’anéantir. Finalement, les institutions de Bretton Woods ont exigé que l’Etat ferme Air Mali au motif qu’il n’était pas rentable selon elles. Question : comment peut-on parler d’impact économique pour une initiative d’un régime socialiste ? Dommage !
Faut-il rappeler que la compagnie Air Mali a été créée par ordonnance n°31-PG/RM du 27 octobre 1960. Il ressort de nos investigations que l’idée de steward et d’hôtesse de l’air est née du constat que les passagers restaient longtemps dans l’avion sans manger. Il fallait trouver un service pour s’occuper d’eux. Autrement dit, prendre en compte les paramètres distance et alimentation.
Sékou Danioko, un pionnier en la matière, a fait ses études primaires à Kayes entre 1948 et 1954. A son admission au CEP, il est orienté au Centre d’apprentissage agricole de M’Pessoba en 1955. Son cursus dans cet établissement technique sera écourté en 1957. Il est renvoyé par le service d’agriculture du Soudan Français pour avoir été l’instigateur et le meneur d’un mouvement d’insubordination.
Au lendemain de cette sanction, il retourne à Bamako, et travaille comme commis au Service d’hygiène de 1958 à 1960. C’est de là qu’il tente sa chance au concours d’entrée à Air Mali en qualité de steward. Retenu parmi les trois premiers, Sékou Danioko suit sa formation sous la houlette d’une hôtesse de l’air de Transports aériens intercontinentaux.
Les nouveaux stewards étaient-ils soumis à des critères ? Peut-être la taille entrait en jeu, se rappelle Danioko. Sinon il n’y avait pas de critères spécifiques pour choisir les stewards. Sûrement que l’administration ne maîtrisait pas tous ces paramètres. Son premier vol dans un avion provoque des appréhensions et quelques ennuis. Il ne supportait pas les mouvements de l’air à une certaine altitude.
De ses explications, nous retenons que l’air à 2500 m d’altitude est inchangeable, mais au-delà il y a besoin de pressuriser, c’est-à-dire emmagasiner l’air par le truchement des moyens mécaniques afin que la pression intérieure soit plus forte que la pression extérieure.
Plus de 17 000 heures de vol
Il travaille à Air Mali pendant vingt-cinq ans, ensuite à la Régie autonome du service aérien, puis à Mali Tombouctou Air Service, qui opérait seulement à l’intérieur du Mali. A l’adhésion du Mali à Air Afrique, il est affecté à Abidjan dans l’encadrement des stewards. Sékou Danioko fait valoir ses droits à la retraite en 1994, après avoir passé 17 775 heures 26 minutes 16 tierces dans un avion.
Il a la particularité d’avoir effectué cinquante-deux jours de voyages présidentiels avec Modibo Kéita en 1964 entre la Tchécoslovaquie et l’Allemagne. Que retient-il du président Modibo Kéïta ? Il définit le père de l’indépendance comme un vrai patriote, un faiseur du Mali à travers la création des sociétés et entreprises d’Etat.
Dans sa carrière dans les airs, Sékou Danioko a connu trois accidents très graves, avec à la clef la perte de ses compagnons. « La première catastrophe aérienne à laquelle j’ai survécu s’est produite le 11 août 1974, à 47 km de la piste d’atterrissage de Ouagadougou. L’avion venait de Djeddah, le mauvais temps nous empêcha d’atterrir à Niamey. Le pilote a mis le cap sur Ouaga, où un mauvais temps nous attendait également. Finalement l’irréparable s’est produit avec 58 morts, dont 7 membres de l’équipage, mes compagnons. Nous sommes restés dans la brousse de 22 h 45 à 7 h du matin, avant l’arrivée des secouristes. J’ai eu une fracture à la clavicule gauche, des égratignures à l’oreille gauche et sous la narine. Le deuxième accident a eu le 10 octobre 1980 à Orly Sud. Le moteur de l’avion a pris feu au roulage. Les passagers ont été évacués, mais moi je suis resté avec deux, qui étaient des handicapés. Je les ai assistés jusqu’à ce que les secouristes éteignent le feu. C’est cela le rôle fondamental d’un steward ou d’une hôtesse. Le dernier, c’était à Tombouctou en 1992, où le moteur a également pris feu. Heureusement l’avion n’avait pas décollé. L’incident a été maîtrisé ».
Ces épreuves l’ont-ils moralement ébranlé ou provoqué son dégout du métier de steward ? Non, répond-il. Célibataire et un peu jeune au moment de la première catastrophe aérienne, Sékou Danioko dit qu’il a certes été choqué par la perte de ses collègues, mais il n’a pas été affecté au point de penser à démissionner du métier de steward. D’ailleurs, il reprend service 50 jours après le crash.
Au cours de sa carrière, il a participé à plusieurs formations à l’extérieur sanctionnées par :
– le certificat de sécurité sauvetage en 1971 en France ;
– le diplôme d’instructeur à Air Alger en 1973;
– le diplôme d’instructeur de Federal Administration Aviation à San Francisco en 1978, laquelle formation a été précédée d’un stage d’instructeur secouriste de la Croix-Rouge américaine ;
– un stage de secouriste Boeing 747 à Yougoslavie en 1980. Des stages de perfectionnement qui ont fait de Sékou Danioko un homme incontournable, dans les différentes compagnies, même après la disparition d’Air Mali.
Grâce à Air Mali
A la retraite, il reconnait que la compagnie Air Mali lui a tout donné : la découverte du monde, les relations le goût du voyage et des grandes rencontres. Il revient sur l’une d’elle, la Coupe du monde de 1974. « A la faveur de cette compétition, j’ai pris congé pour assister à cet événement inédit. A un moment donné mes finances ont commencé à maigrir. J’ai pensé au secrétaire général de la Fédération malienne de football en son temps, Cheick Kouyaté. Je lui ai expliqué ma situation financière. Il m’a demandé de le rejoindre à son hôtel, et nous sommes partis ensemble au terrain dans le même véhicule, avec le commissaire de la Fifa, Rito Alcantra. Installé dans la loge officielle lors du match Brésil-Hollande, j’ai vu Pelé et je n’ai pas hésité à solliciter une photo de souvenir. Son garde de corps a voulu s’opposer, mais le roi Pelé ne lui en a pas donné ce temps. Ce jour, j’étais très content d’avoir rencontré le monument du football mondial, et cela grâce à Air Mali ».
Depuis sa retraite, Sékou Danioko consacre son temps à la bonne pratique de l’islam (il a fait le pèlerinage avec le président Modibo Kéita), à ses petits-fils, et surtout la dynamisation de l’Association des anciens travailleurs d’Air Mali, dont il est le président. Ses compagnons de l’ancienne compagnie se retrouvent deux fois dans l’année, pour la mise en place du plan d’action.
Marié et père de six enfants, M. Danioko a été élevé à la dignité d’officier de l’Ordre national en 2003, après avoir reçu une première médaille au lendemain de son accident d’avion en 1974.
Dans la vie, Sékou Danioko aime le sport pour avoir été dirigeant au Stade malien de Bamako, trésorier de la Fédération malienne de basket-ball de 1975 à 1986, président de la Ligue de basket-ball du district en 1986. Il aime la musique latino-américaine et possède une collection de disques rares. Il déteste l’injustice.
O. Roger Sissoko