« Voici l’homme qui nous a trahis ! » C’est par ces propos que Lamine Traoré dit Jules nous a accueilli à son domicile le week-end dernier. Son entourage, surpris, ouvrait grands les yeux, mais finira par comprendre que le technicien voulait juste taquiner votre serviteur dont il dit qu’il est un talent à l’état pur, qui pouvait être un grand joueur. Comment et pourquoi nous n’avons pas été ce footballeur remarquable qu’on était en droit d’attendre de nous ? Les raisons plus bas. En attendant, sachez qu’Aly Koïta dit Faye et Lamine Traoré dit Jules sont deux techniciens qui ont formé des centaines de jeunes au Djoliba AC et au Stade malien de Bamako. Le distinguo entre les deux ? Le premier était allergique aux mauvais joueurs. Dès le premier test, dans un bambara boiteux, son verdict, tel un couperet, tombait : accueil chaleureux ou renvoi systématique sans état d’âme. Jules, en revanche, était patient et donnait plus de temps à ses pensionnaires. Tous les adolescents de Bamako à la fin des années 70, des années 80-90 connaissent ces deux personnages. Il nous est plus facile de parler de Jules en tant qu’encadreur, formateur au Stade malien de Bamako. Aujourd’hui, ce passionné ne se rappelle plus des détails qui ont conduit à son choix comme entraîneur des équipes minimes, cadette, junior du club. Il est quand même indéniable que l’homme s’est battu d’une part, pour donner une valeur au talent de jeunes, et d’autre part pour la promotion du Stade, parfois avec ses propres moyens financiers et logistiques. La preuve ? Quand une de ses équipes devait se déplacer pour un match amical, c’est Jules qui assurait le transport avec le véhicule de service. C’est aussi lui qui payait de sa poche le transport des joueurs qui habitaient loin du terrain d’entraînement. Comment la carrière de Jules a commencé ? Pourquoi il n’a pas connu un parcours rayonnant à la hauteur de sa valeur intrinsèque de buteur attitré ? Comment nous avons connu cet homme ? Notre énième passage à son domicile nous a permis de brosser l’histoire de ce grand formateur de tous les temps.
otre chemin a croisé celui de Jules lors de la saison 1985-1986. Comme tout jeune de Bamako, nous décidâmes alors de valoriser notre potentiel de fin technicien du ballon rond. C’est le lieu de porter à la connaissance des lecteurs de la rubrique « Que sont-ils devenus ? », que sans fausse modestie, nous étions un excellent joueur que la nature avait doté de qualités exceptionnelles et qui avait aussi le don de marquer des buts d’anthologie. D’où le surnom Roger, en référence au grand attaquant camerounais Roger Albert Miller alias Milla.
Malheureusement, l’échec au DEF et la pression d’un aîné conservateur ont eu raison de ce talent prédestiné à un bel avenir. Voilà pourquoi Jules a parlé de trahison parce que nous avons déserté les terrains pour de bon en 1988.
Les trois ans passés au centre de formation du Stade malien de Bamako nous permettent aujourd’hui de parler suffisamment de notre héros de la semaine, Lamine Traoré dit Jules, ancien international des Blancs et encadreur attitré du même club pendant au moins trois décennies.
Nous gardons un bon souvenir de cet homme très gentil. Mieux il était pour nous un historien. A la fin de chaque séance d’entraînement, il nous narrait l’histoire du club, la façon dont Fousseyni Diarra, Ben Oumar Sy ont inculqué à leur temps le bon comportement, l’esprit du club dans la famille. A travers Jules, nous avons appris beaucoup de choses sur Mamadou Kéïta dit Capi, Mamadou Diakité dit Doudou, bref tous ces grands noms qui ont marqué l’histoire du Stade malien de Bamako.
Les qualités de l’homme sont immenses. Cadre en service à l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), ses jeunes ne manquaient pas de jetons. Ceux qui logeaient non loin du terrain se rabattaient sur le vieux Batourou Sékou Kouyaté, qui nous affectionnait aussi.
Jules en plus d’être entraîneur, était aussi un père de famille qui avait le sens du management. Alors quel était son secret pour contenir tous ces jeunes d’horizons divers ? « Mon secret, c’était la patience. J’encadrais un groupe d’individus dont les attitudes diffèrent. Donc il fallait être patient et comprendre tous ceux-ci. Parmi eux, certains étaient récalcitrants, d’autres très disciplinés. Mais en un moment donné il fallait aussi que j’adopte des comportements responsables, pour éviter de tomber dans l’injustice. En un mot la pédagogie jouait son rôle », répond Jules.
Remontada historique
Aujourd’hui, notre coach affirme sans ambages qu’il n’a qu’un seul bon souvenir : tout ce temps passé avec les jeunes parce que la formation des jeunots était une passion pour lui.
Attaquant polyvalent, Jules avait l’art de dribbler et marquer des buts à la pelle. En parlant de lui, les aînés se rappelleront de cette remontada du 28 mars 1971 contre le Djaraf de Dakar en Coupe d’Afrique des clubs. Que s’est-il réellement passé ? Jules raconte
« C’était en 1971, à l’occasion des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des clubs. Au match aller, l’entraîneur m’a mis dans l’effectif, mais me signifia sa décision de ne pas me faire jouer. J’ai accepté, d’ailleurs je n’y pouvais rien. Le Stade a perdu par 3 buts à 0. Avant de quitter, j’ai dit aux sénégalais de l’hôtel que le Djaraf n’est pas cette équipe qui peut éliminer le Stade malien de Bamako. Ils ont posé la question de savoir si le club a d’autres joueurs de qualité plus que ceux-là qui ont joué le match aller ? Je leur ai répondu que la clef du match serait un certain Lamine Traoré dit Jules. Ils ont rigolé. Au match retour, l’entraîneur me garda sur le banc de touche et préféra Cheick Diallo, pourtant blessé. A la mi-temps, il s’est ravisé à me faire monter à la place de Cheick, contre la volonté du public. Je suis rentré et j’ai marqué trois buts, tout en offrant le quatrième but à Boubacar Falikè, synonyme d’élimination des Sénégalais ».
A propos de cette rencontre aller, Djibril Diallo, ex-secrétaire politique du BEC de l’UDPM du temps de Moussa Traoré, nous appela au lendemain du passage dans la rubrique de l’ancien joueur du Stade malien, Mamadou Diakité dit Doudou. Il nous a confié avoir pris des sanctions en sa qualité de directeur général de la Régie des chemins de fer du Mali contre les mécaniciens du train « Express » en provenance de Dakar. Parce que ceux-ci ont fait siffler le train à l’entrée de Bamako. C’était une façon de célébrer la victoire sénégalaise. Malgré le fait qu’il soit Djolibiste, l’image du Mali était en jeu. C’est pourquoi en plus des remontrances aux mécaniciens, il a pris des sanctions.
Leader né
Lamine Traoré dit Jules est sociétaire de l’Association sportive de Bolibana (ASB), une équipe qu’il a créée avec ses copains et dont il était le leader. Ce club s’est tellement bien illustré que son affiliation à la Ligue du district était gagnée d’avance. Mais, selon Jules, la Ligue s’était opposée à cette prétention parce qu’elle voulait plutôt que l’ASB contribue à renforcer le Djoliba, le Réal et le Stade malien de Bamako.
Toutefois, les jeunes étaient décidés à rester ensemble. Ils se contentèrent des compétitions inter quartier jusqu’à ce que Kongocha Coulibaly (un dirigeant du Djoliba) parvienne à les embarquer pour la famille Rouge. Il s’est appuyé sur Jules pour convaincre le reste du groupe. Cette affiliation a donné un second souffle au Djoliba, à en croire les déclarations de notre héros de la semaine. Seulement, il abandonnera ses anciens coéquipiers de l’ASB, pour transférer deux ans après au Stade malien.
Ce transfert est consécutif à deux circonstances : d’abord la considération et le respect de Ben Oumar Sy à trouver la manière la plus juste pour le débaucher. Ensuite à son arrivée au lycée Technique après le DEF, il est tombé sur une administration supportrice du Stade malien de Bamako. Nul n’est sans savoir qu’à l’époque l’enseignant pouvait avoir l’influence sur l’élève. Certes le proviseur, le censeur n’ont pas exercé de pression directe sur Jules. Mais ils n’ont pas manqué de moyens pour endormir la mémoire du jeunot. Effectivement ils réussiront leur stratégie.
C’est ainsi que Lamine transféra au stade malien de Bamako en 1970. A partir de cette date, l’histoire a tracé un destin pour lui. Il est écrit que Jules a lavé un affront, comme évoqué plus haut. Orienté dans un établissement technique, et tenant à ses études, Jules alternait cours et séances d’entraînement. C’est d’ailleurs l’une des raisons fondamentales qui explique son abonnement au banc de touche, par l’encadrement technique qui l’utilisait comme arme fatale. C’est à cause de son assiduité à l’école qu’il a raté la Can de Yaoundé-72. Sinon avant et après la Can il a été sélectionné en équipe nationale.
Retraite paisible
Il a mis fin à sa carrière à la fin de la saison 1972-1973 après avoir remporté la Coupe du Mali la même année, et le titre de champion deux ans plus tôt. Admis au bac, il devait suivre des études supérieures en aéronautique. A son retour du Canada, il a été recruté par l’Asecna, pour ensuite effectuer des formations en France, en Malaisie, au Maroc et au Niger.
En demandant à Jules ce qui caractérisait le Stade malien au temps de Ben Oumar Sy ? Il répond que c’est la qualité du jeu, bâtie sur la technicité, le jeu collectif et surtout l’amour du club qui demeuraient les maîtres mots des différentes générations des Blancs de Bamako.
Dans la vie il aime le sport, et déteste l’injustice. Marié et père de cinq enfants, Jules dans sa retraite s’occupe aujourd’hui de ses petits-enfants. Bilingue, il lui arrive de faire des consultations dans ce sens, à titre gratuit. Ingénieur dans la navigation aérienne, l’homme vit de sa pension et du soutien de ses enfants dont l’aîné ayant fait des études supérieures avancées vit aux Etats Unis.
O. Roger
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