ORGANISATION DES ELECTIONS LEGISLATIVES : Le Cnid-Fyt dénonce les démarches contradictoires du gouvernement
Suite à la décision du gouvernement de tenir les élections législatives en mars et avril prochains, le président du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid- Fyt), Me Mountaga Tall, estime que l’évaluation de la situation politique et sécuritaire du pays révèle la persistance de difficultés et contraintes qui ne permettent pas la tenue d’élections législatives régulières et transparentes.
Dans son réquisitoire, l’avocat a rappelé qu’au terme d’une mission effectuée en octobre 2018 à Bamako, une délégation de la Cedeao, conduite par le ministre des Affaires étrangères du Nigeria, à l’époque président en exercice du Conseil des ministres de l’organisation sous régionale, il été acté que : « Prenant acte de la prolongation de la législature actuelle selon l’avis de la Cour constitutionnelle et au regard des dysfonctionnements largement reconnus et évoqués par tous les interlocuteurs lors du scrutin présidentiel passé, il est impératif que le Gouvernement et tous les acteurs socio-politiques conviennent, de manière consensuelle, d’entreprendre des réformes courageuses des cadres légaux, y compris la Constitution de février 1992 et du système électoral avant de s’engager dans les prochaines échéances électorales que compte mener le pays… ».
Selon lui, cette ferme assurance a grandement contribué à la résolution de la crise post-électorale consécutive à l’élection présidentielle frauduleuse de juillet 2018. « Il est loisible à tous de constater que le gouvernement du Mali, qui s’apprête à s’engager dans une nouvelle échéance électorale n’a, depuis cette date, pris aucune initiative, même timide, pour reformer le Code électoral« , a-t-il laissé entendre.
A le croire, l’engagement pris à l’égard de la Cedeao n’a pas été tenu. A ce titre, il dira qu’il est important de savoir ce qu’en dit aujourd’hui la Cedeao et les autres partenaires du Mali.Car, dit-il, justifiant la deuxième prorogation du mandat des députés, le gouvernement, dans le communiqué rendant compte du Conseil des ministres du 07 juin 2019, expliquait : « Le mandat des députés, qui a expiré le 31 décembre 2018, a été prorogé jusqu’au 30 juin 2019 par la Loi organique n°2018-067 du 06 décembre 2018, conformément à l’avis de la Cour Constitutionnelle du 12 octobre 2018.
La prorogation était motivée par le caractère de force majeure des difficultés entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et législatives et la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale ».
Persistance des difficultés
et contraintes à l’organisation d’élections transparentes
A ses dires, l’évaluation de la situation politique et sécuritaire du pays révèle la persistance des difficultés et contraintes qui ne permettent pas la tenue d’élections législatives régulières et transparentes. « Dans ce contexte et conformément à l’Accord politique de gouvernance, le projet de loi organique, adopté, proroge jusqu’au 2 mai 2020 le mandat des députés de la Vème législature afin de réunir les conditions optimales à la bonne organisation des élections », a-t-il dit.
Et d’ajouter que, depuis cette annonce, aucune initiative politique n’a été prise à fortiori mise en œuvre pour assurer la tenue d’élections législatives régulières et transparentes. Et sans compter l’opportunité qu’offrait le report d’adopter d’autres mesures pour conforter notre démocratie (scrutin mixte, suppléance, Organe unique de gestion des élections, interdiction du nomadisme et des alliances contre nature, dissociation circonscription administrative/circonscription électorale, actualisation du nombre de députés au regard de l’évolution démographique du Mali…).« Que compte donc faire le gouvernement alors que les conditions d’élections régulières et transparentes, de son propre aveu, ne sont pas réunies ? Sans doute frauder une fois de plus. Mais cela sera-t-il encore accepté ? », s’est-il interrogé.
Pour le président du parti du soleil levant, la situation sécuritaire, depuis mai 2019, s’est singulièrement dégradée ainsi qu’en témoigne le rapport de Human Right Watch qui fait état, en plus d’environ deux cent éléments des Forces de défense et de sécurité, de plus de 456 morts et des centaines de blessés parmi les civils. Or, précise-t-il, l’année 2020 commence manifestement sous de pires auspices que 2019, avec des assassinats quotidiens qui tendent à se banaliser.
« Déjà, plus de 100 communes n’ont pu participer à la phase communale du Dialogue national inclusif pour raison d’insécurité, laquelle a atteint des zones naguère épargnées. De nombreux administrateurs, magistrats, agents de santé ou maîtres d’école ont d’ailleurs déserté leur poste pour se mettre à l’abri. Le Gouvernement, qui prétend pouvoir sécuriser les candidats, les agents électoraux, les bureaux de votes et la transmission des résultats, ne devrait-il pas commencer par sécuriser ses propres agents à moins de faire aveu de les livrer volontairement et quotidiennement à la mort ? », a fait remarquer Me Tall.
De son analyse, il est surréaliste d’imaginer que c’est au moment où le président de la République lance l’Opération Maliko que le gouvernement accroît sa vitesse de croisière vers le mur. Et de rappeler que cette opération, instituée par Décret N° 2020-0034/P-RM /P-RM du 30 janvier 2020 vise « à rétablir l’Etat du Mali dans ses fonctions régaliennes dans certaines de ses régions… » avec comme finalité « les menaces terroristes et criminelles sont enrayées, l’administration publique et les populations déplacées réinstallées, l’ état de droit, la libre circulation ainsi que la protection des personnes et de leurs biens sont restaurés et l’autorité de l’Etat réaffirmée sur l’ensemble du territoire ». A contrario donc, le président IBK reconnaît l’absence de l’Etat et de l’administration dans une partie importante du territoire national, des entraves à la libre circulation et l’insécurité pour les personnes et leurs biens.
Vers une violation manifeste de l’article 85 de la loi électorale
A le croire, le gouvernement s’achemine délibérément vers une violation manifeste de la loi électorale qui dispose en son article 85 que « Les électeurs sont convoqués et la date du scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres et publié au journal officiel soixante (60) jours au moins avant la date des élections. En cas de nécessité, il peut être procédé à la convocation des collèges électoraux à des dates différentes pour les élections communales. Dans ce cas, les élections se dérouleront le même jour au niveau de l’ensemble des communes comprises dans une ou plusieurs régions. »
A ses dires, aucune raison, aucune nécessité, ne permet d’organiser l’élection législative à la carte, c’est-à-dire dans certaines circonscriptions, tout en omettant d’autres. Le faire en connaissance de cause est tout simplement inacceptable car procédant d’une violation délibérée de la loi qui s’apparenterait au parjure.
D’ailleurs, précise le président du Cnid-Fyt, la non-organisation du scrutin dans certaines régions dont les gouverneurs sont en fonction et les cercles clairement définis (Bougouni, Koutiala, Menaka, Nioro et Tessalit) est en soi une manifestation de violation de cette loi que son parti ne saura ni cautionner ni laisser faire.
Il ajoutera qu’au regard de ces réalités, la Direction nationale du parti a fait part aux structures et militants de base de ses plus vives préoccupations et de son total scepticisme quant à la possibilité de tenir à la date indiquée une élection inclusive, transparente, démocratique et sécurisée. Toute chose que de très nombreuses sections ont entendu et approuvé et ont décidé de ne pas présenter de candidats. Cependant, le parti a décidé de respecter les choix des structures qui, pour des raisons locales impératives et de respect de la parole donnée depuis longtemps, ont décidé de participer au scrutin en contraignant parfois de hauts responsables du parti à les accompagner.
« Le Gouvernement n’a pas dit toute la vérité aux participants au Dialogue national inclusif dont une résolution sert de prétexte à une aventure et une insouciance d’Etat sans nom. Préférant perdre des députés plutôt que de perdre ses idéaux, le Cnid-Fyt réaffirme qu’il existe de réelles solutions alternatives au forcing en cours », a-t-il conclu.
Boubacar PAÏTAO