ARTS VISUELS : Boubacar Tangara alias Kokè, l’homme face à son destin

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Issu de la première promotion du Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako, Boubacar Tangara alias Kokè fait partie aujourd’hui de ces artistes qui portent haut le 3e art au Mali. Mais avant d’en arriver là, Kokè a connu un parcours emailé par le doute et des difficultés liées à la méconnaissance des arts plastiques au Mali.  Portrait !

La plupart des artistes apprennent leur art à leur jeune âge soit par amour ou sous influence d’une personne de leur entourage. Cependant, il y en a chez qui l’art est un don de la nature. Et Boubacar Tangara se classe dans la dernière catégorie. Très jeune, ses dessins impressionnaient. Il avait ce talent inné qui subjuguait son entourage. Parti très tôt à l’école, soit à l’âge de 5 ans, dans sa ville natale de Bamako, il développe très vite un intérêt particulier pour le dessin dans lequel il va exceller à un rythme incroyable. « J’ai été meilleur dessinateur de mes établissements durant mon cursus académique du primaire au lycée en passant par le second cycle à Bamako, ensuite à Ségou où j’ai été faire mon lycée. J’ai même été premier régional en dessin de Ségou en 1997 quand je faisais la 10e année au lycée Cabral », explique l’artiste qui était sollicité par ses professeurs pour leur dessin au tableau.

Le talent d’artiste du jeune Kokè se précise durant ses années de lycée. Il avait un petit atelier à la maison où il fabriquait du bogolan (tissu traditionnel malien) qu’il ornait avec ses petits dessins. C’est d’ailleurs le dessin qui lui a inspiré cette idée. En voulant développer ce don, Boubacar décide de s’essayer au portrait et à la décoration de maisons. Comme par magie, il y a très vite excellé, sans aucune aide particulière. « C’était facile, je pouvais dessiner tout ce que je voyais ou imaginais », se rappelle-t-il. Ces petits travaux lui faisaient gagner un peu d’argent. Ce qui lui permettant d’être plus ou moins indépendant vis-à-vis de sa famille.

Les obstacles du chemin   

Après son Diplôme d’étude Fondamentale (DEF) Boubacar voulait s’inscrire à l’Institut national des Arts (Ina) mais il était très jeune à l’époque, très jeune avec seulement 14 ans et demi, alors qu’il fallait avoir plus de 18 ans pour intégrer l’Ina. Aussi, ses parents n’étaient pas en phase avec son choix pour le dessin. Ils voulaient plutôt que leur fils devienne médecin, mais cette idée n’enchantait pas le concerné qui était passionné d’arts et de droit. « Ma deuxième option après les arts plastiques c’était le droit. Vu qu’il n’y avait pas d’école des beaux-arts au Mali, j’ai décidé d’aller faire le droit à la Faculté des sciences juridiques et économiques de Bamako », précise-t-il. 

Portrait de Bissi Sylva

En 2002, après son baccalauréat, Boubacar bénéficie d’une bourse d’études sociales de l’Ambassade de France au Mali, mais l’intime ami de son père qui était son tuteur à Bamako et qui était de tendance Wahhabite n’a pas voulu qu’il aille étudier les arts plastiques en France car il considérait le dessin comme Haram et de surcroit il disait que le dessin n’était pas un métier qui pouvait nourrir son homme. Révolté face à ce refus, Kokè quitte la famille de son tuteur pour l’internat. Que d’obstacles !

Le déclic viendra en 2004 avec l’ouverture du Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté du Mali. Alors qu’il passe pour la licence, Kokè abandonne sans réfléchir le droit au profit de la nouvelle école des beaux-arts. Il vient de trouver son chemin. Il passe avec brio le concours du Conservatoire où il termine deuxième national. Mais sur proposition du directeur d’alors du Conservatoire, le jeune Kokè fera un choix inattendu en s’inscrivant à la filière multimédia au lieu des arts plastiques. Mais ce choix a été bien réfléchi par le jeune artiste.      

« L’art c’est l’expérience, l’art c’est toute une vie »

Etant étudiant au Conservatoire, Kokè sillonnera plusieurs pays de la sous-région comme le Sénégal, le Burkina Faso, le Bénin et le Togo. Il était l’assistant et collaborateur de la réalisatrice canadienne, Erica Pomerance, qui avait un projet de films (72 heures chrono) dans ces différents pays. Ce qui lui a permis de sillonner l’Afrique de l’ouest. Des voyages au cours desquels il a pu nouer des contacts avec plusieurs grands artistes dont des cinéastes, peintres et écrivains.

« A travers ces grands hommes de la culture, j’ai appris que l’art c’est l’expérience, l’art c’est toute une vie. Un artiste ne peut pas copier, il ne peut pas mentir, il met son vécu, ses émotions et ses expériences sur sa toile », ajoute-t-il. Mais déjà en 2008, alors étudiant au Conservatoire, les œuvres de Boubacar seront exposées hors des frontières maliennes, notamment au Sénégal dans le cadre de la biennale de Dakar. Deux ans plus tard (en 2010), il fait sa première exposition individuelle (des dessins et des portraits encadrés) au studio Waru à Dakar. C’est là que la carrière du jeune connaitra son déclic car c’est à cette occasion qu’il devient la révélation de la biennale de Dakar. En une semaine, il a eu 7 articles de presse dans 7 journaux différents de Dakar. 

Malgré ces débuts rêvés, la carrière d’artiste de Boubacar ne décollera pas pour autant. Il connaitra des moments de disette en termes de créations artistiques. Convaincu à l’époque que l’art ne peut pas nourrir son homme, il décide de se tourner vers l’enseignement avant de s’exiler au Togo suite à la crise de 2012. Là-bas, il enseignera dans une école de Cinéma du nom de l’Ecran où il était en charge des cours de multimédia (camera, montage vidéo, photographie, infographie…)

Accepter le destin et le dessin 

A son retour au bercail, en 2014, il continue l’enseignement du dessin au lycée Amadou Hampaté Ba de Bamako avant de rejoindre l’entreprise Taxi Plus Vip d’un de ses amis où il était agent commercial, décorateur et concepteur graphique. En 2016, il postule à un atelier de critique d’art dans le cadre de la biennale de Dakar. C’est là que les choses vont changer pour l’artiste car « des amis à moi, notamment Billy Bidjoka et son ami Simon Djami qui était le commissaire d’exposition de la biennale du Dak’art en 2016 m’ont fait comprendre que mon chemin ne se trouve dans la critique d’art ni dans le commissariat d’exposition et qu’avec mon talent d’artiste je devrais plutôt me consacrer à la peinture et que c’est là que se trouve mon chemin », raconte-il.

Kokè, de retour au Mali, décide donc de mettre en pratique les conseils de ses amis. C’est ainsi qu’il démissionne de l’entreprise Taxi Plus Vip pour se consacrer à l’art, sa vraie passion. « Il fallait que j’accepte de devenir artiste pour l’être », nous glisse-t-il. 

Il se consacre ainsi à l’art et passera toute l’année 2017 à peindre et la démarche artistique de Koke est assez particulière. Il ne travaille pas avec le pinceau, il lui suffit des feutres acryliques, indélébiles et des supports comme le papier et le tissu. L’artiste a un penchant pour les portraits sur lesquels il peint de la joie de vivre, le bonheur, le vivre ensemble. Il est aussi passionné de l’univers spirituel religieux dans ses créations. L’artiste fait la part belle aux femmes : « Parce que j’aimais beaucoup ma maman que j’ai perdue tôt à 16 ans, j’aime la femme et je défends les causes de la femme. Je suis engagé pour la lutte contre toutes formes de violences faites aux femmes car la femme est l’équilibre de nos foyers et du monde », explique Kokè.

Pendant qu’il créait ses œuvres, Kokè publiait leurs photos sur Facebook où il bénéficiera d’un grand soutien et des encouragements, notamment de Fatima Charfi (Première femme du grand prix Léopold Sédar Senghor de la biennale de Dakar décédée en 2018) et de Vincent Ledoux, un député de France qui l’a d’ailleurs aidé à obtenir une exposition dans la ville de Roncq (France). « C’est à  travers cette exposition que beaucoup de personnes, notamment des amis, ma famille et mes collaborateurs ont cru en ce que je faisais », ajoute Koké qui, depuis, participera a plusieurs expositions nationales et internationales, notamment la résidence Murmures de Ouagadougou en 2018, la 9e édition du Festigrafitti, la biennale de Dakar, une exposition au Musée de la femme de Dakar, Ségou’Art, l’exposition Airs Danses en avril 2019 en compagnie du designer Cheick Diallo et du jeune Famakan Magassa à l’Institut Français du Bamako. Il participe également à la résidence du Pinceau de l’intégration organisée par le centre culturel Soleil d’Afrique en 2019. Toujours la même année, il participe à l’exposition collective à la Galerie Médina.  

Aussi pour une première au Mali, Tangara organise une exposition individuelle sur l’univers divin en 2019. « L’univers islamique m’a bercé et il fallait en parler dans mes créations. J’ai voulu exprimer mon amour pour Allah et son prophète Mohamed (PSL) ».

Ce qui n’est pas surprenant quand on sait que l’artiste est issu d’une famille maraboutique très respectée et qu’il a étudié l’islamologie avant d’être un militant actif de la Ligue islamique des élèves et étudiants du Mali. « J’ai aussi été le premier national de lecture du Coran en 1999 et 2e national en 2002 », poursuit-il. 

En décembre 2019, Boubacar Tangara signe un contrat d’exposition d’une année avec le groupe Azalai Hôtel qui se poursuivra jusqu’en décembre 2020. Ce contrat consiste pour l’artiste de faire 11 expositions individuelles, en raison d’une exposition par mois. Un partenariat qui, à l’en croire, va s’élargir très prochainement à un autre grand hôtel de la place.

Avec désormais une reconnaissance nationale, l’objectif pour Boubacar est désormais d’acquérir une notoriété internationale. « Je voudrais être l’exemple pour beaucoup de jeunes qui hésitent encore à embrasser ce métier. Ce qui ne va pas sans le travail et l’abnégation », ajoute celui qui ambitionne à l’avenir de créer un village d’art au Mali. Un centre qui abritera tous les médias du 3e art au Mali, constitué d’une galerie d’art et d’un espace d’exposition. Des projets ambitieux !   

  Youssouf KONE    

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