Le serpent passe et on s’échine à taper sur ses traces. Ainsi peut-on dire de l’acquittement de Bakary Togola et quatre co-accusés par la Cour d’assises spéciale consacrée aux crimes économiques. Comme pour dire que, Bakary Togola et consorts, lavés tout blanc par la justice, savourent leur liberté, pendant que les magistrats s’entredéchirent et prolongent le procès, en dehors du prétoire, et surtout entre eux.
Scandalisées par toutes ces formes d’atteinte grave et délibérée au crédit et à la considération de l’institution judiciaire, ainsi qu’à l’honneur, la dignité, et à la réputation de ses membres », l’Association malienne des procureurs et poursuivants (Ampp) et la Référence syndicale des magistrats (Refsyma), dans une déclaration rendue signée de son président, Cheick Mogamed Cherif Koné et rendue publique le 15 décembre 2021, s’expriment ainsi. C’est parce que les magistrats regroupés au sein de ces deux organisations sont très remontés contre le ministre de la Justice, et pour cause ! Ils lui reprochent sa « sortie atypique » et « ses lettres liberticides à caractère diffamatoire », notamment celle « N °0405 et N°0406/MJDH-SG du 07 Décembre 2021, du ministre de la justice postées sur son portail, instruisant l’ouverture simultanée d’une enquête administrative et d’une enquête judiciaire contre des magistrats de la cour d’assises de Bamako ». Cette lettre fait « suite à l’arrêt d’acquittement rendu le 29 Novembre 2021 dans le dossier Ministère public contre Bakary Togola et autres, accusés d’atteinte aux biens publics et complicité, faux et usage de faux ».
L’Ampp et la Refsyma estiment que ce sont des « attaques gratuites à l’honneur et à la considération de la magistrature malienne », ce qu’elles qualifient de « scandale judiciaire ». Par ailleurs, ils notent que « le ministre n’avait pas besoin d’apposer son cachet confidentiel sur des lettres prioritairement destinées à la presse et aux réseaux sociaux, à des fins publicitaires et populistes, pour se faire une certaine image dans la lutte contre la criminalité économique et financière ».
De ceci, les deux organisations de magistrats « désapprouvent, d’une part, les lettres liberticides du ministre, dont l’une truffée de fautes, comme la forme parfaite du rejet du pouvoir souverain d’appréciation, reconnu au juge, et d’autre part, sa sortie atypique pour pourfendre, voire vilipender des magistrats d’une formation de cour d’assises sur les réseaux sociaux, comme l’expression achevée de la négation de l’intime conviction des juges d’une cour d’assises ».
Pour l’Association malienne des procureurs et poursuivants (Ampp) et la Référence syndicale des magistrats (Refsyma), leurs « valeureux collègues » ont été « offensés à tort » sur la base d’une violation du principe de la séparation des pouvoirs et aussi du pouvoir d’appréciation souverain des juges d’assises et de l’intime conviction du juge, le tout par méconnaissance du ministre de la justice, de son pourvoi d’ordre ainsi que des règles d’organisation et de fonctionnement de la cour d’assises, laquelle se prononce, non pas sur pièces, mais plutôt à la majorité des voix de ses membres sur l’intime conviction.
Les deux organisations de magistrats tiennent donc à rappeler que la cour d’assises étant une juridiction collégiale régulière, elle est majoritairement composée de juges non professionnels dont les arrêts, rendus au nom du peuple, « dérogeant au formalisme de motivation, sont pris à la majorité de ses membres dans le secret des délibérations, sur l’intime conviction, échappant à tout contrôle, y compris celui de la cour suprême ».
En plus, l’Ampp et la Refsyma précisent que, fortes de leur profond attachement au principe d’égalité des citoyens devant la justice, « elles soutiennent qu’aucune raison tirée des considérations politiques, de la conduite sociale, des ressentiments, voire des hostilités d’un groupe de pression, ne saurait justifier un traitement discriminatoire, ou l’application de mesures autres que celles prévues par la loi à l’encontre d’un accusé présumé innocent devant la cour d’assises ».
Par ailleurs, elles rappellent que les juges d’assises se déterminent « en se conformant à la seule loi, sans avoir de compte à rendre, s’agissant de leur intime conviction, à une quelconque autorité judiciaire, a fortiori, un membre du gouvernement. Insistant que le secret de délibération et le respect de l’intime conviction du juge ont un caractère public ».
En plus, l’Ampp et la Refsyma « précisent, d’une part, que le secret de délibération au respect duquel le magistrat est tenu conformément à son serment de le « garder religieusement », lie tous les membres d’une cour d’assises, même après la cessation de leurs fonctions ; d’autre part, que l’intime conviction du juge qui lui permet d’asseoir sa religion sur les affaires qui lui sont soumises, est inappréciable en ce qu’elle échappe à tout contrôle, y compris celui de la cour suprême, régulatrice du droit, et chargée de l’application uniforme de la loi par les juridictions ».
Ce dossier qui impliquait au départ Bakary Togola et quatre de ses co-accusés, passés devant la Cour d’assises qui les a acquittés faute de preuves des accusations contre eux, prend désormais une autre tournure et sort carrément du prétoire pour se retrouver dans la rue, comme le confirment d’ailleurs l’Ampp et le Refsyma qui soutiennent : « En recourant à la presse et aux réseaux sociaux, pour marquer le désaccord du gouvernement avec une décision de justice, au mépris des règles de la procédure judiciaire et des voies légales de recours, le ministre de la justice se met en dehors du droit pour transgresser la loi, tout en fragilisant le gouvernement dont il est censé être le premier conseiller juridique ».
Ceci faisant dire cela, la détermination « d’entreprendre toutes démarches et actions légales appropriées tendant au respect de l’indépendance de la magistrature et de l’intime conviction du juge » est clairement exprimée dans la déclaration commune Ampp-Refsyma.
Mais que fait alors la Cour suprême, incarnation du pouvoir judiciaire ? L’Ampp et le Refsyma se désolent de ce qu’ils qualifient « d’indifférence face à cette pire forme de totalitarisme de l’exécutif qui sape les fondements de l’Etat de droit en mettant en péril l’équilibre des pouvoirs, porte gravement atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, compromet l’existence légale même de la cour d’assises en tant que juridiction répressive particulière, prévue comme telle par la loi ».
Se réservant le droit de poursuivre la protestation déjà élevée contre ce qu’ils appellent « cafouillage institutionnel sans intérêt ni utilité, créé par le gouvernement pour les besoins d’une démonstration stupide de force, dans le seul dessein d’être en phase avec une certaine « opinion » bruyante, qualifiée abusivement de publique du fait de ses rapports avec des tenants du pouvoir », les magistrats réunis au sein de l’Association malienne des procureurs et poursuivants (Ampp) et la Référence syndicale des magistrats (Refsyma) « exhortent » le président de la Transition, chef de l’Etat, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire » d’user de ses prérogatives pour faire restaurer l’équilibre entre les pouvoirs, en exigeant notamment d’une part, le retrait des lettres offensantes sus référencées, en ce qu’elles sapent ostentatoirement et de façon gratuite le moral des membres de la magistrature, sans pour autant grandir le gouvernement. »
Amadou Bamba NIANG