Décédé brutalement le 10 novembre 2020 à Istanbul en Turquie, Amadou Toumani Touré, chef de l’Etat entre 1991 et 1992, puis président de la République du 8 juin 2002 au 22 mars 2012, est celui qui a mis fin au bain de sang que le général Moussa Traoré réservait à ses adversaires politiques en particulier et au peuple en général résolument engagés pour l’instauration de la démocratie et du multipartisme au Mali. Dans la nuit du 25 au 26 mars 1991, un fringant lieutenant-colonel âgé de 43 ans, chef du corps des commandos-parachutistes de Djicoroni-Para, à la tête d’un groupe restreint de combattants aguerris, dont un certain commandant Siaka Koné, procédait à l’arrestation de celui qui dirigeait le Mali d’une baguette de fer depuis 23 ans. Certes, le Mouvement démocratique avait déjà balisé le terrain du renversement du parti-Etat Udpm avec les marches tous azimuts, les contestations et la grève générale illimitée, mais cela ne saurait en aucun cas diminuer la portée de l’acte patriotique posé par l’enfant de Soudbaba car il fallait avoir un cran au-dessus de la moyenne pour affronter GMT prêt à tout pour conserver son fauteuil. Depuis lors, le peuple s’est attaché à cet homme au destin exceptionnel. Pour eux, la pire nouvelle du siècle est tombée à l’aube d’Istanbul, en Turquie, où le général a perdu son dernier combat le 10 novembre 2020, et le seul, des suites d’une maladie cardiaque. Nous disions qu’Amadou aura passé avec les humains 72 longues années. Mais, que d’années remplies ! De preuves et d’épreuves ! De hauts et de bas ! De réussite et d’échecs !
Comme lors de ses funérailles nationales, nous rendons ici, à l’occasion des 30 ans de la démocratie au Mali, un vibrant hommage au soldat, à l’humanitaire, au médiateur, à l’homme politique, au chef d’Etat, bref à l’homme aux 72 vies.
6 mars 1991-8 juin 1992, puis 8 juin 2002-8 avril 2012 : Amadou Toumani Touré aura passé 11 ans en tout à la tête de l’Etat malien. Un temps au cours duquel le visage du Mali a radicalement changé et la vie du Malien s’est fondamentalement améliorée. Personne ne saurait nier, aussi bien au plan national qu’international, la mue subie par le Mali sous l’ère ATT. Si l’homme a réussi, c’est grâce à son sens du patriotisme, son cœur tendre, sa gestion concertée du pouvoir et sa gestion pacifique des conflits. Son crédo : la recherche perpétuelle de la paix par le dialogue, le compromis, les concessions et tous moyens pacifiques.
« Professeur d’histoire-géo » destiné soldat !
La transition démocratique malienne est indissociable de la vie d’ATT, mais l’enfant de Mopti est aussi un vaillant soldat, un humaniste, un médiateur et un politique qui a fait ses preuves dans la gestion des affaires de l’Etat.
De son Mopti natal au palais de Koulouba, en passant par le camp des commandos parachutistes de Djicoroni, la vie du fils prodige du « Soudbaba » aura connu moult virages.
Amadou Toumani Touré est né le 4 novembre 1948 à Mopti où il grandit dans le quartier Wayinkoré. Il confie aux biographes qu’il garde de la Venise malienne le souvenir de tous ces petits métiers auxquels il s’adonnait : couture, élevage, pêche (au filet et à la ligne), labour, négoce. Et football. Il fit son cycle fondamental à Mopti, Tombouctou, Bandiagara ; avant de poursuivre ses études à l’Ecole normale secondaire de Badalabougou (EN Sec), à Bamako, d’où il décroche, en 1969, son diplôme en lettres histoire-géographie qui le destine tout droit à la profession d’enseignant à l’instar de beaucoup de ses camarades de promotion qui sont aujourd’hui des professeurs d’enseignement supérieur.
Mais, la même année, sa carrière professionnelle va connaître un virage à 90° vers le métier des armes. En effet, quand un jour, il apprend qu’on recrute pour l’Ecole militaire interarmes (Emia) de Kati, il se présente et fut admis.
Le nouvel élève officier de l’Emia de Kati commence sa formation en 1969. Il sort en 1972 avec le grade de sous-lieutenant. Avide de connaissances, il suivra toute une série d’études et de formations durant sa carrière. Notamment à l’Ecole supérieure des troupes aéroportées à Riazan en URSS (1974-1975), au Centre national d’entraînement commando (Cnec) à Mont Louis en France (1978), à l’Ecole supérieure de guerre interarmes (17e Promotion) à Paris en France (1989-1990) et au Cours supérieur interarmes (42e promotion) à Paris en France (1990).
De toutes ces étapes, Amadou Toumani Touré aimait laisser entendre qu’il garde des souvenirs mémorables de son séjour à Riazan qui fut une étape importante dans sa formation militaire. Car, c’est une des plus grandes écoles de parachutisme au monde, d’où sont sortis le général Lebed et la plupart des généraux soviétiques sont des produits de Riazan. ATT y a fait un cours supérieur de commandant de compagnie, de chef de bataillon et de saut en parachute.
Au titre des promotions en grades, après celui de sous-lieutenant, Amadou Toumani Touré est successivement promu lieutenant le 1er octobre 1974, capitaine le 1er octobre 1978, chef de bataillon le 1er janvier 1984, lieutenant-colonel le 1er octobre 1988, général de brigade le 8 juin 1992, et général d’armée le 1er octobre 1996.
Il est nommé commandant de la Garde présidentielle, du 28 avril 1981 au 30 mars 1984. Le commandement du bataillon des paras commandos lui est confié par deux fois, en janvier 1984, puis le 14 mars 1991.
Le jour le plus…
Le 26 mars 1991, ATT conduit l’opération militaire qui renverse le régime du général Moussa Traoré, parachevant une révolution déclenchée par les associations du Mouvement démocratique. Amadou Toumani Touré venait de faire son entrée dans l’Histoire du Mali, au-delà, celle du continent. En effet, président du Comité de réconciliation nationale – CRN – (26 mars) et du Comité de transition pour le salut du peuple – Ctsp – (29 mars), il conduit la Transition malienne jusqu’au 8 juin 1992.
Cette Transition a été essentiellement marquée par certains actes forts. Tout d’abord, la tenue, du 29 juillet au 12 août 1991, de la Conférence nationale (que ATT lui-même a présidée, une première en Afrique), qui produira les textes fondamentaux comme le projet de Constitution, le code électoral, la charte des partis, l’Etat de la nation.
Ensuite, le calendrier des échéances électorales pour la mise en place des institutions de la IIIe République a été respecté ainsi qu’il suit : le 12 janvier 1992, référendum constitutionnel ; le 19 janvier 1992, élections municipales ; le 23 février 1992 et le 8 mars 1992, 1er et 2e tours des élections législatives ; et les 12 et 26 avril 1992, 1er et 2e tours de l’élection présidentielle.
Enfin, la signature, le 11 avril 1992 à Bamako, du Pacte national, consacrant le règlement du conflit du Nord du Mali (déclenché en juin 1990), occupe une place de choix parmi les acquis de la Transition de 1991, au terme de laquelle le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, remet le pouvoir aux civils, plus précisément à Alpha Oumar Konaré, conformément à ses engagements pris le 26 mars 1991.
Le bâton de pèlerin
Après la Transition, le général Amadou Toumani Touré retourne dans les casernes, pour un repos bien mérité. Mais convaincu qu’il peut être utile à l’humanité, il prend son bâton de pèlerin pour se consacrer à la réalisation d’actions sociales en faveur des plus démunis et de la médiation, là où il y a problème. Et les sollicitations pour bénéficier de son expertise émanent de partout. Commence la vie d’un véritable globe-trotter.
Première action forte : la lutte contre le ver de Guinée. Dès septembre 1992, Amadou Toumani Touré accepte, sur la demande du président Jimmy Carter, le parrainage du Programme d’éradication de la dracunculose au Mali, qui devient protocole d’accord relatif à l’éradication du ver de Guinée et à la lutte contre la cécité entre le gouvernement de la République du Mali et Global 2000 Inc.
Depuis lors, ATT s’engage à fond pour l’éradication de cette maladie. Cet engagement personnel dans la lutte contre le ver de Guinée a été récompensé par le Centre Carter qui lui a décerné un prix. Celui-ci lui a été remis à la faveur de la 8e conférence régionale sur l’éradication du ver de Guinée en avril 2008 à Abuja (Nigeria) en présence de l’ancien président des Etats-Unis et de son épouse, Rosaline Carter.
En août 1993, ATT crée la Fondation pour l’Enfance, pour manifester sa reconnaissance à l’endroit des enfants, des jeunes, qui l’ont constamment soutenu durant sa mission à la tête de l’Etat au cours de la transition démocratique de 1991. Au-delà, la Fondation se veut un organe dynamique, engagé dans l’amélioration des conditions de vie des femmes, des enfants et des jeunes.
Les actions de la Fondation portent sur l’amélioration des conditions de vie des enfants, en intervenant dans leur protection, leur éducation et leur insertion, mais elle se consacre tout aussi largement à la promotion d’actions d’ordre social, économique et culturel. Le but est d’œuvrer au développement économique et social des populations maliennes, en luttant contre la pauvreté et l’exclusion, surtout au profit des couches sociales en circonstances difficiles, à savoir les mères, les enfants et les jeunes.
Bref, faire reculer la famine, l’analphabétisme, la maladie et favoriser la culture de la démocratie, de la paix et de la solidarité au profit des plus déshérités, telle est l’ambition de la Fondation pour l’Enfance, gérée de juillet 2002 à 2019 par la Première dame, Mme Touré Lobbo Traoré.
Après la dracunculose, ATT s’est attaqué à la poliomyélite. En juillet 1996, l’Organisation mondiale de la santé (Oms) le désigne membre du Comité international pour une Afrique libérée de la poliomyélite. Il est nommé président du Comité de pilotage des Journées nationales de vaccination (Jnv) contre la poliomyélite en octobre 1997.
En 1998, il fonde l’hôpital Mère-Enfant «Le Luxembourg». La même année, il est nommé président du Comité de lutte contre le trachome. Parallèlement aux œuvres de bienfaisance et à sa traque contre diverses maladies, Amadou Toumani Touré était régulièrement investi par les organismes internationaux de missions de médiation et d’observateur à travers l’Afrique.
En novembre 1995, le sommet des chefs d’Etat de la région des Grands lacs, réuni au Caire (Egypte), l’a choisi comme facilitateur dans le règlement du conflit dans cette zone. En 1996, il dirige la mission d’observation de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) lors des élections algériennes. Le 12 juillet de la même année, à Lomé, au Togo, il est lauréat du « Diplôme de promoteur de la culture démocratique en Afrique » remis par l’Observatoire panafricain de la démocratie (Opad).
En 1999, ATT est nommé membre du Panel, Groupe international d’éminentes personnalités pour enquêter sur le génocide de 1994 au Rwanda et ses conséquences.
En 2000, le général Amadou Toumani Touré est mandaté par l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) en qualité d’Envoyé spécial du secrétaire général de l’Oif, Boutros Boutros-Ghali, auprès des chefs d’Etat membres de l’Oif, n’ayant pas encore adhéré à la convention d’Ottawa.
En juin 2001, ATT est mandaté en République centrafricaine en tant qu’Envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, pour la République centrafricaine.
En avril 2011, le président Amadou Toumani Touré est membre, avec ses homologues d’Afrique du sud, du Congo, de la Mauritanie et de l’Ouganda, du panel de médiateurs sur la crise libyenne.
Au chapitre des médiations, il convient de revenir sur celle de la République centrafricaine (RCA) qui a été l’une des plus riches en enseignements et des plus réussies.
Le médiateur Amadou Toumani Touré était parti pour deux semaines, mais il est resté deux années.
Au milieu des années 1990, la RCA a été plongée dans une grave crise militaire. Rien qu’en 1996, la Centrafrique a connu trois mutineries en trois mois. Il y avait un blocage institutionnel sans précédent. ATT est parti en Centrafrique sous l’égide de l’ancien président gabonais Oumar Bongo.
Plus tard, il a été rejoint par des troupes mises à disposition par les armées gabonaise, malienne, sénégalaise, tchadienne et togolaise.
Avec ces forces, ils ont constitué la Mission inter africaine de surveillance des accords de Bangui (Misab).
A Bangui, ATT a réussi une prouesse, celle de se rendre régulièrement dans les deux parties de la ville, coupée en deux : une partie sous contrôle des mutins notamment autour du camp Kassaï et l’autre partie aux mains des soldats loyalistes.
Bangui a occupé une place importante dans la vie d’homme et de soldat d’ATT. La Misab a fait du bon travail. Au moment où ATT et son équipe remettaient le commandement aux forces des Nations Unies, la capitale, Bangui, était calme. Un gouvernement d’unité nationale avait été mis en place et la vie avait repris son cours normal.
Les Centrafricains ont adopté le général » sauveur » comme un des leurs, de telle sorte qu’en 2002, quand il a décidé de se présenter à la Présidentielle, les populations de Bangui ont cotisé pour lui envoyer leurs contributions. Mieux, ATT avait un passeport diplomatique centrafricain et de nombreuses décorations. Encore mieux : une forte délégation de Centrafricains était à Bamako pour ses obsèques.
Un modèle atypique
C’est de retour de Centrafrique qu’Amadou Toumani Touré s’est lancé dans la politique pour briguer la magistrature suprême.
Le 1er septembre 2001, il demande et obtient sa mise en retraite anticipée de l’armée pour se lancer dans la politique. Candidat indépendant, il déclare sa candidature le 10 mars 2002 à Sikasso et est élu président de la République le 24 mai 2002, avec 64,35 % des voix au second tour, pour un premier mandat de cinq ans. Il est investi le 8 juin. Et réélu dès le premier tour le 29 avril 2007 avec 71,20 %.
C’est dans sa vie d’homme politique que le président Amadou Toumani Touré a le plus étonné, avec ses idées, ses concepts, ses méthodes et, bien sûr, ses réalisations.
Enumérer les initiatives et réalisations du président Touré relève de la gageure, mais durant ses mandats, le quatrième président du Mali a posé des actes forts dont certains méritent une attention de nos fidèles lecteurs.
Le consensus politique, la consolidation de la démocratie avec l’engagement des réformes institutionnelles, le respect des libertés individuelles, la gestion pacifique de la crise du nord, etc. sont autant d’actes politiques qui ont été extrêmement déterminants dans la vie de la nation, la paix et la quiétude sociales au Mali.
Le plus grand acquis des mandats du président de la République Amadou Toumani Touré, c’est, sans doute, sa méthode atypique de gestion politique du pouvoir ; une méthode qui a permis au peuple malien de retrouver son unité et sa cohésion interne indispensables pour pouvoir faire face aux défis du développement.
Arrivé au pouvoir en 2002 sous aucune couverture de parti, Amadou Toumani Touré a été d’emblée inspiré de « partager le pouvoir » dans un cadre de gestion concertée et consensuelle. Neuf ans durant, il n’a pas rompu avec ce mode de gestion « qui gagne ».
Son slogan de campagne de 2002 : « Retrouvons ce qui nous unit » a profondément touché le peuple malien, qui l’a élu sur la base de ce message. Une fois élu, le président de la République a mis en pratique cette vision qui lui a permis de réunir, autour de sa personne et de son projet, toutes les composantes et forces politiques et sociales que compte le Mali. Il a fait en sorte que chaque Malien se sente citoyen à part entière, avec les mêmes droits et obligations. Il a mis autour d’une même table, autour de sa personne, des hommes et des formations politiques qui, quelques mois seulement avant son élection, se regardaient en chiens de faïence.
La méthode ATT, c’est son respect pour la personne et la personnalité de ses interlocuteurs et partenaires politiques, et pour tous les acteurs de la vie sociale du pays. Mais aussi la recherche et la mise en œuvre de l’approche consensuelle dans la résolution de tous les grands dossiers de la nation. Ce qui lui a permis d’instaurer l’apaisement sur les fronts politique et social pendant 9 bonnes années afin de pouvoir se consacrer aux actions de développement.
Tous les aspects positifs de la méthode « consensuelle » ATT concourent à l’apaisement que les Maliens ont vécu sous son ère et à créer les conditions d’une amélioration de la vie au quotidien des Maliens par le développement en termes de services vitaux de base : nourriture, santé, éducation, infrastructures, sécurité, emploi, image et rayonnement extérieur du Mali, etc., toutes choses qui ont constitué l’épine dorsale de sa politique de 2002 à mars 2012.
Crise du Nord : le dialogue d’abord…
Quand le 23 mai 2006, des éléments incontrôlés ont attaqué la garnison de Kidal, réveillant le conflit du Nord-Mali, beaucoup de Maliens s’attendaient à ce que le président de la République lance les forces armées maliennes aux trousses des bandits armés et des populations touarègues. Mais ils ont vite été désorientés par l’appel du chef de l’Etat depuis Diéma (localité située dans la région de Kayes) où il était en visite. Un appel à la mesure et au discernement.
« C’est ici, à Diéma, dans le Kaarta, dans le Mali profond, que j’ai une pensée particulièrement douloureuse pour les événements que notre pays a connus malheureusement ce matin. Cela fait mal ! Certes, mais nous devons, une fois encore, face à des épreuves, nous unir, renforcer notre solidarité, œuvrer pour l’unité et la cohésion nationales… Je demande à chaque Malienne, chaque Malien, d’abord de garder le calme… Je voudrais convier toutes les Maliennes et tous les Maliens à savoir faire la part des choses. Ceux qui ont attaqué des postes militaires à Kidal ne doivent pas être confondus avec nos autres compatriotes Tamasheq et proches qui vivent avec nous, nos difficultés, qui ont choisi le Mali, qui ont choisi la loyauté et qui ont les mêmes droits que nous. Ne les confondez pas avec ceux qui ont tiré à Kidal (…) Il faut les aider, les assister, les encourager.
Que personne ne fasse cette confusion dans les camps militaires, dans les camps de la Garde nationale, dans les services de la douane et tous les autres services de l’Etat, administration publique comme privée. Ne faites pas un amalgame entre celui qui a tiré là-bas, sur un poste militaire, et l’autre Malien qui, ici, travaille et s’occupe de sa famille… Où que je me trouve en République du Mali, je suivrai la situation avec responsabilité, mais aussi avec mesure…
Au Mali, on n’a plus besoin de prendre des armes pour se faire entendre. La décentralisation est un statut particulier par lequel vos élus peuvent, par différentes voies, – administratives et politiques – transmettre vos doléances, vos suggestions et critiques aux autorités… Ce n’est pas une tragédie… C’est une situation que nous allons gérer en toute responsabilité », avait laissé entendre ATT aussitôt après les événements de Kidal et Ménaka.
Éviter d’entraîner le Mali dans un engrenage ; tel fut, de bout en bout, le souci de Amadou Toumani Touré, un général d’armée, rompu au métier de la guerre, donc qui connaît plus que quiconque les conséquences (sociales, militaires, économiques…) de la gestion d’un conflit déjà enclenché.
Dans cette crise de 2006, ATT gérait en fait non seulement le Nord du pays (théâtre des opérations), mais aussi le Sud. Dans ce dernier cas, face à une pression sans cesse croissante, il lui fallait canaliser les ardeurs des va-t-en guerre, qui se trouvaient dans toutes les sphères, y compris dans son entourage et dans l’armée. Mais le chef de l’Etat a privilégié le dialogue, tout en continuant à sensibiliser ses concitoyens.
Cette méthode a réussi à 100 % car, jusqu’à fin de la crise (en 2009), on n’a décelé aucune « chasse aux sorcières » contre des populations touarègues, ni de la part des populations noires, ni de la part des Forces armées et de sécurité. Il n’y a pas eu non plus d’exode ou d’exil massif des Tamasheq, encore moins de désertion à outrance des éléments intégrés dans l’armée et les autres forces para militaires.
Cet effort d’ATT à l’intérieur, était parallèlement accompagné par un intense travail diplomatique à l’étranger. Il faut souligner à ce niveau l’implication du facilitateur algérien et le rôle humanitaire de la Libye, ainsi que les concertations régulières entre les différents chefs de la diplomatie malienne et les ambassadeurs accrédités au Mali.
La méthode ATT (sociale et diplomatique) a été renforcée, tout au long du processus, par les initiatives traditionnelles entreprises par les notabilités locales, les chefs de fractions et de tribus et les associations, et la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara. Objectif commun : donner la chance à la paix, par le dialogue, la médiation. Sans faire la guerre, véritablement.
Quand la rébellion a éclaté à nouveau le 17 janvier 2012, tous les Maliens ont été témoins de la gestion faite par ATT de la situation, rendue plus salée par les effets de la crise libyenne, l’implication d’Aqmi et des jihadistes d’Ançar Eddine. Les rebelles ont certes annexé certains camps et villes, mais jamais il n’étaient parvenus à s’aventurer dans les capitales régionales. Mais après son départ du pouvoir, Kidal, Gao et Tombouctou ont été occupées en l’espace de 72 h et la République de l’Azawad proclamée le 6 avril, soit deux semaines seulement après l’arrivée de la junte d’Amadou Haya Sanogo.
La mue
Durant ces dix dernières années, ATT a posé d’autres actes et actions qui marquent encore la vie nationale. La création, le 25 août 2003, du Bureau du Vérificateur général, modèle canadien, est l’un de ceux-ci. Instrument de vérification de la gestion des ressources publiques, le BVG est là pour instaurer une culture de bonne gestion des finances publiques. Les vérificateurs ont rendu des rapports accablants et plusieurs milliards de F CFA ont été recouvrés et des dossiers remis à la justice.
Aussitôt intronisé, ATT a initié le programme des logements sociaux afin de permettre aux Maliens aux revenus faibles d’avoir leur propre toit. A l’horizon 2012, plus de 50 000 Maliens devaient vivre sous leur propre toit.
Le 4 décembre 2005, la Loi d’orientation agricole (Loa) est lancée par ATT. La Loa vise à garantir la souveraineté alimentaire et à faire du secteur agricole le moteur de l’économie nationale en vue d’assurer le bien-être des populations. Elle couvre l’ensemble des activités économiques du secteur agricole et péri-agricole, notamment l’agriculture, l’élevage, la pêche et la pisciculture, l’aquaculture, l’apiculture, la chasse, la foresterie, la cueillette, la transformation, le transport, le commerce, la distribution et d’autres services agricoles, ainsi que leurs fonctions sociales et environnementales.
Le 6 février 2010, Amadou Toumani Touré procède au lancement des travaux du barrage de Taoussa d’un coût global de 130 milliards de Fcfa. 139 000 hectares de périmètres agricoles devaient être aménagés en vue d’augmenter les revenus des populations, et d’assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaires.
Le 25 octobre 2010, ATT lance les travaux de construction de l’autoroute Bamako-Ségou d’un coût global de 182 milliards de fcfa. Ces deux projets constituent les plus importants jamais réalisés dans les secteurs agricole et routier au Mali.
Enfin, nous retenons d’Amadou Toumani Touré qu’il est le » père » de l’Assurance maladie obligatoire (Amo), régime dont lui-même confiait à qui veut l’entendre qu’il est sa plus grande satisfaction.
Nous ne saurons terminer sans cet acte de haute volée d’Amadou Toumani Touré qui a sauvé le Mali d’une crise institutionnelle dont nul ne pouvait prévoir l’issue. C’était à la faveur du coup d’Etat de mars 2012. En effet, pour le retour à l’ordre constitutionnel exigé par la Cédéao, Amadou Toumani Touré a accepté, de son plein gré, de remettre sa démission au représentant du médiateur de la Cedeao. En ces termes : « Mon devoir, comme je l’ai dit lorsque je m’impliquais il y a vingt deux ans, jeune officier, c’est le Mali que je voulais aider. En me présentant en 2002, comme candidat à l’élection présidentielle, c’est encore le Mali qui a inspiré ma décision. Je pensais que la petite expérience que j’ai vécue pouvait aider à soutenir ce pays. Dans le cadre de la recherche de solution, je pense que la décision prise par la Cédéao et la communauté internationale est la meilleure.
J’ai décidé de vous remettre ma lettre de démission, que vous allez remettre aux autorités compétentes pour permettre l’exercice plein et entier des dispositions de notre article 36. Il faut que le Mali reste dans les dispositions de sa Constitution de février 1992. Je pense que c’est tout à fait normal, je le fais sans pression, (…) de bonne foi (…), surtout pour l’amour que j’ai pour ce pays ». La Rédaction